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PHÉDON

à l’autre est appelé s’endormir et s’éveiller. Semblablement, si être vivant et être mort sont deux contraires[1], il doit y avoir passage réciproque de l’un à l’autre. Or dans un sens ce passage se nomme mourir. Est-il croyable que, dans le sens opposé, il n’y ait pas de processus compensateur ? Dans la Nature il y aurait alors défaut d’équilibre et boiterie. Mais ce processus existe : on le nomme revivre. C’est donc une conséquence nécessaire, dont on doit convenir, que les âmes de ceux qui sont morts continuent d’exister en un endroit d’où part le recommencement de la vie. Au reste une preuve par l’absurde peut en être donnée : ôtons au devenir, en supprimant la mutuelle compensation, sa forme circulaire ; il se fait alors en ligne droite d’un contraire à l’autre et sans retour inverse ; si donc, dans le cas dont il s’agit, renaître ne faisait pas équilibre à mourir, il serait fatal que déjà tout se fût définitivement abîmé dans le néant. Ainsi donc l’accord des interlocuteurs (ὁμολόγημα) était légitime sur la réalité du revivre, avec la double nécessité et que les morts en soient le point de départ et que leurs âmes existent ; ce qui implique enfin une différence entre le sort des méchantes et celui des bonnes (70 d-72 e).

II. Une deuxième raison se présente alors à l’esprit de Cébès. Le lien qui l’unit à la précédente, pour n’être pas explicitement indiqué, n’en est pas moins visible : la notion du revivre a éveillé chez lui la notion de cette réviviscence qui est, avec l’oubli, un des deux processus intermédiaires entre deux nouveaux contraires, ignorer et savoir.

Si ce qu’on appelle « s’instruire » est vraiment « se ressouvenir », nos ressouvenirs actuels supposent une instruction antérieure : ce qui implique que nos âmes, avant de prendre figure d’hommes, existaient quelque part et qu’elles sont immortelles. Comment une interrogation bien conduite suffirait-elle à mettre en état de dire vrai sur l’objet d’une question, si déjà l’esprit n’en avait en lui une science et la conception correcte ? (72 e-73 b).

L’hésitation de Simmias à suivre la suggestion, quelque

  1. Il est possible que Platon songe ici au célèbre passage d’Euripide qu’il cite dans le Gorgias 492 e, et qu’Aristophane a souvent parodié : « Qui sait si vivre n’est pas mourir et si mourir n’est pas vivre ? » (fr. du Polyidos, 639 N.).