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PHÉDON

signes de la purification. La purification habitue l’âme à se séparer du corps pour se recueillir en elle-même. Si donc la mort est précisément cela et que le vrai philosophe s’occupe uniquement d’apprendre à mourir (cf. 64 a, c-65 a)[1], cet ami de la sagesse se distinguera aisément de l’ami du corps en ce que, loin de s’irriter de l’approche de la mort, il s’en réjouit (67 b-68 b). — De plus il n’y a que lui pour posséder une vertu réelle et qui donne à l’âme la purification, tandis que la vertu ordinaire ne fait que se contredire elle-même et est tout illusoire (68 c-69 b). — Enfin la destinée qui menace ceux qui arrivent chez Hadès sans avoir été purifiés et initiés est très différente de celle qui est promise aux autres : Socrate a-t-il eu raison de régler sa vie sur une telle espérance ? c’est ce qu’il saura tout à l’heure. Du moins son plaidoyer aura-t-il fait comprendre à ses amis pourquoi la mort prochaine ne lui inspire point de révolte (69 c-e).

La portée de ce plaidoyer qui constitue la première partie du Phédon doit être exactement mesurée. Comment le philosophe sait-il qu’il doit attendre pour quitter la vie un ordre des Dieux ? par une révélation ; que la béatitude sera le lot des Purs ? encore par une révélation. Si, en attendant la mort, il emploie la vie à se mortifier afin de se rendre pur, c’est parce qu’il a l’espoir de cette béatitude. Or, pour justifier cet espoir, ce qu’il allègue c’est l’exercice même de la philosophie, c’est la connaissance philosophique et la vertu philosophique, fondées toutes deux sur la pensée. Mais une telle justification ne compte que si réellement, une fois séparée du corps, l’âme survit à la mort physique. Autrement, l’espoir du philosophe étant une duperie, son ascétisme est un vain effort, son savoir et sa vertu des illusions, plus laborieuses mais non moins décevantes que celles du vulgaire. Jusqu’à présent la survivance de l’âme était donc supposée à titre d’objet de foi religieuse ; elle a maintenant besoin d’être établie, et l’objet de cette foi, d’être réfléchi et transposé par la conscience philosophique.

  1. Cf. Cicéron, Tusc. I 29, 71-31, 75. Mais, quand Sénèque (Ep. 26, 8 sq.) donne à Lucilius ce conseil : Meditare mortem… Egregia res est condiscere mortem, ce n’est pas à Platon qu’il l’emprunte, c’est, il ne faut pas l’oublier, à Épicure ; on sait assez qu’aux yeux des Épicuriens, la mort « n’est rien pour nous ».