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PHÉDON

si bien que, la face voilée, je pleurais tout mon saoul sur moi-même (car, bien sûr non, ce n’était pas sur lui !), oui, sur mon infortune à moi qui d serais privé d’un tel compagnon ! Criton du reste, hors d’état, même avant moi, de retenir ses larmes, s’était levé pour sortir. Quant à Apollodore qui, déjà auparavant, n’avait pas un instant cessé de pleurer, il se mit alors, comme de juste, à pousser de tels rugissements de douleur et de colère, que tous ceux qui étaient présents en eurent le cœur brisé, sauf, il est vrai, Socrate lui-même. « Qu’est-ce que vous faites là ? s’écria-t-il alors ; vous êtes extraordinaires ! Si pourtant j’ai renvoyé les femmes, c’est pour cela surtout, pour éviter de leur part semblable faute de mesure ; car, on me l’a enseigné, c’est avec des paroles heureuses e qu’il faut finir[1]. Soyez calmes, voyons ! ayez de la fermeté ! » En entendant ce langage, nous fûmes saisis de honte, et nous nous retînmes de pleurer.

Pour lui, il circulait, quand il déclara sentir aux jambes de l’alourdissement. Alors il se coucha sur le dos, ainsi qu’en effet le lui avait recommandé l’homme. En même temps celui-ci[2], appliquant la main aux pieds et aux jambes, les lui examinait par intervalles. Ensuite, lui ayant fortement serré le pied, il lui demanda s’il sentait ; Socrate dit que non. Après cela, il recommença 118 au bas des jambes, et, en remontant ainsi, il nous fit voir qu’il commençait à se refroidir et à devenir raide. Et, le touchant encore, il nous déclara que, quand cela serait venu jusqu’au cœur, à ce moment Socrate s’en irait. Déjà donc il avait glacée presque toute la région du bas-ventre, quand il découvrit son visage, qu’il s’était couvert, et dit ces mots, les derniers qu’il prononça : « Criton, nous sommes le débiteur d’Asclépios[3] pour

  1. La forme de l’observation semble donner raison à Olympiodore, qui allègue (205, 15-20 N. ; cf. 244, 9 sqq.) un précepte pythagorique (voir Jamblique, Vie de Pythagore 257).
  2. Il faudrait lire « celui qui lui donna le poison », si ces mots n’étaient une évidente interpolation.
  3. À quoi bon (p. ex. avec Wilamowitz, Platon², I, 178 ; II, 58 sq.) conjecturer à quelle occasion de fait Socrate a pu faire le vœu dont cette offrande doit être l’accomplissement. Après ce qui précède, la signification symbolique est, en tout état de cause, seule intéressante : Socrate sent que son âme est enfin guérie du mal d’être unie à un corps ; sa gratitude va donc au Dieu qui rétablit la santé, Asclépios.