Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115 b
98
PHÉDON

ce semble, m’être lavé moi-même avant de boire le poison, et ne pas donner aux femmes la peine de laver un cadavre. »


Avoir souci de soi-même.

Sur ces mots de Socrate, Criton prit la parole : Eh bien, b dit-il, quels ordres nous donnes-tu, Socrate, à ceux-ci ou à moi, soit au sujet de tes enfants, soit pour toute autre affaire ? De notre part cette tâche serait, par amour pour toi, notre tâche principale ! — Justement, Criton, je ne cesse pas d’en parler, répondit-il, et il n’y a rien de neuf à en dire ! Voici : ayez, vous, le souci de vous-mêmes, et de votre part alors toute tâche sera une tâche faite par amour, et pour moi ou pour ce qui est mien, et pour vous-mêmes, n’eussiez-vous à présent pas pris d’engagement ! Supposons au contraire que de vous, oui, de vous-mêmes, vous n’ayez point le souci, et que vous ne veuillez point vivre en suivant, comme à la trace, ce qui s’est dit aussi bien aujourd’hui que par le passé ; alors, quels qu’aient pu être aujourd’hui le nombre et la force c de vos engagements, non, vous n’en serez pas plus avancés ! — Nous mettrons, c’est entendu, tout notre cœur, dit Criton, à nous conduire ainsi. Mais tes funérailles, comment y procéderons-nous ? — Comme il vous plaira, répondit-il ; à condition bien sûr que vous mettiez la main sur moi et que je ne vous échappe pas ! » Là-dessus, il se mit à rire doucement et, tournant vers nous ses regards : « Je n’arrive pas, camarades, dit-il, à convaincre Criton que ce que, moi, je suis, c’est ce Socrate qui à présent s’entretient avec vous et qui règle l’ordre de chacun de ses arguments ! Tout au contraire, il est persuadé que moi, c’est cet autre Socrate dont le cadavre sera un peu plus tard devant ses yeux ; et le voilà qui demande d comment procéder à mes funérailles ! Quant à ce que depuis longtemps je me suis maintes fois employé à répéter, qu’après avoir bu le poison je ne resterai plus auprès de vous, mais qu’en partant je m’en irai vers des félicités qui doivent être celles des Bienheureux, tout cela, je crois bien, n’était pour lui que vaines paroles, des consolations que je cherchais à vous donner, en même temps du reste qu’à moi-même ! Portez-vous donc garants pour moi, dit-il, envers Criton, en garantissant le contraire de ce qu’il garantissait, lui, envers mes juges[1] : de sa part en effet, il en jurait, c’était que je

  1. L’engagement pris par Criton ne peut ici concerner le paie-