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PHÉDON

Or ce qui a embarrassé Cébès, c’est que continuer ou cesser de vivre ne comportent pour notre choix aucune alternative et que, la mort étant supposée un bien pour l’homme, ce ne soit pas à lui-même qu’il appartient de se conférer ce bien, mais à un autre être. La solution de la difficulté est cherchée d’abord dans l’interprétation d’une formule sacramentelle des Mystères[1] : nous sommes, nous autres hommes, dans une sorte d’enclos ou de garderie, et c’est notre devoir d’y rester. Autrement dit, les humains sont la chose des dieux et leur propriété ; ils sont sous leur tutelle ; pour mourir ils doivent en avoir reçu l’ordre de leurs maîtres (62 a-c).

II. Dans cette solution Cébès aperçoit pourtant une inconséquence : si nous sommes la chose des dieux et que ceux-ci soient les meilleurs des maîtres, il est absurde pour un philosophe de ne pas s’irriter contre la mort et de la souhaiter comme une libération. Aussi bien, observe Simmias, est-ce précisément le cas de Socrate. Celui-ci est ainsi amené à prononcer, et cette fois devant le tribunal de ses amis, un plaidoyer, une nouvelle apologie, pour justifier son attitude et celle du philosophe en face de la mort (62 c-63 b).

1o Le thème générateur de ce plaidoyer[2], c’est l’affirmation d’une double espérance, celle de trouver chez Hadès des Dieux autres que ceux de ce monde, mais pareillement bons et sages, et cette autre, moins assurée quoique probable, d’y rencontrer aussi ces défunts auxquels les mérites de leur vie

    mais sur une tradition qui n’est pas, comme celle des Pythagoriciens (αὐτὸς ἔφα), soumise à la règle du Secret, 61 d s. fin.

  1. Littéralement « dans ce qui ne doit pas être divulgué ». Quand bien même Athénagore, en rapportant ce qui suit à Philolaüs (6, p. 6, 13 Schwartz), ne se fonderait pas sur une simple inférence tirée du Phédon, son assertion serait sans importance : en devenant, notamment avec Philolaüs, une école philosophique, le Pythagorisme cessait d’être une secte secrète. Encore moins s’agit-il ici des Mystères reconnus par la religion d’État, pour lesquels l’obligation du silence était absolue. Plus probablement la formule en question appartient à l’enseignement, moins fermé, des Mystères orphiques et même sans doute à quelque Discours sacré. — Sur le sens de φρουρά, que je traduis par garderie, voir p. 8, n. 2.
  2. Thème qu’une intervention de Criton (63 de) amène à reprendre pour le souligner fortement (c sq.).