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PHÉDON

bien qu’on prenne des ailes et qu’on s’envole, alors en effet on en aurait le spectacle, parce qu’on élèverait la tête, comme ici-bas les poissons en élevant la tête hors de la mer voient les choses d’ici-bas ; oui, c’est ainsi qu’on aurait le spectacle de celles qui sont là-haut. Supposons enfin à notre nature le pouvoir de soutenir cette contemplation : on connaîtrait alors que ce qui en est l’objet est le ciel véritable, et la vraie lumière, et la 110 terre véritablement terre[1] ! Car cette terre-ci, les pierres même, et dans son entier la région où nous sommes, tout cela est corrompu, mangé complètement, comme l’est par la salure ce que renferme la mer ; la mer où rien ne pousse qui mérite qu’on en parle, où il n’y a pour ainsi dire rien d’accompli, mais des roches creuses, du sable, une quantité inimaginable de vase, des lagunes partout où s’y mêle de la terre, bref des choses qui ne doivent pas le moins du monde être jugées en les rapportant aux beautés de chez nous[2]. Mais, à leur tour, celles de là-haut seraient manifestement de beaucoup supérieures encore à celles de chez nous. b Si donc c’est en effet le bon moment pour conter une histoire, il vaut la peine, Simmias, d’écouter quelle est précisément la qualité des choses qui sont sur cette terre dont la place est au-dessous du ciel. — Ma foi ! Socrate, nous serions, nous, bien aises, dit Simmias, d’entendre cette histoire.

— Bon ! Voici donc, camarade, répondit-il, ce que l’on rapporte. C’est d’abord que l’image de cette terre, pour qui la regarde de haut, est à peu près celle-ci : un ballon bariolé pareil aux balles de peau à douze pièces, et dont les quartiers se distinguent par des couleurs qu’imitent à leur façon les couleurs mêmes d’ici-bas[3], celles notamment que les peintres

    une lie de l’éther, l’air humide et enfin l’eau que ce dernier dépose à son tour (110 c, e).

  1. Appliquée au rapport du sensible et de l’intelligible, l’image devient celle du dieu marin Glaucus (Rep. X, 611 c-e ; cf. Esch. fr. 34 N².), ou encore celle de la caverne (VII début).
  2. On doit les estimer par rapport à des choses encore pires. Corruptrice (cf. e), la mer l’est même des mœurs, Lois IV, 704 d-705 a.
  3. La terre, vue d’en haut, l’est par sa partie pure. Un dodécaèdre, fait de douze pentagones, donne une sphère si l’on en courbe les surfaces ; or c’est ainsi qu’a été fait le monde lui-même, et il est peint