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NOTICE

prétend, Aristote n’ait pu à Athènes, trente-deux ans après la mort de Socrate, rien apprendre de certain sur l’enseignement de ce dernier ? Sous un autre rapport enfin l’interprétation historique ne semble pas moins aventurée. S’agit-il en effet d’examiner les rapports du Phédon, par exemple avec la République ? Le Phédon est, par hypothèse, la dernière expression de la pensée de Socrate lui-même ; donc tout ce qu’un entretien, donné pour chronologiquement antérieur, contient de plus quant au contenu doctrinal et quant aux formules, ou bien on s’efforcera (au prix de quelles subtilités !) de l’y retrouver sous-entendu[1], ou bien, pour sauver une thèse par ailleurs intenable, on niera la réalité de ces enrichissements.

Il semble donc impossible de considérer le Phédon autrement que comme l’exposition par Platon de ses propres conceptions sur la mort et sur l’immortalité de nos âmes, en relation avec d’autres doctrines, la théorie des Idées et la réminiscence, qui faisaient déjà notoirement partie de son enseignement. Si l’on s’obstine cependant à le tenir pour une narration historique du dernier entretien de Socrate, on doit reconnaître qu’à tout le moins il brouille deux évolutions de pensée, solidaires sans doute, mais successives : bref ce serait un véritable monstre historique. Qu’on y voie au contraire une libre composition de Platon, il est dès lors naturel, d’abord que celui-ci ait donné pour cadre au sujet qu’il traitait la dernière journée de son maître ; il est naturel aussi que, voulant s’adresser indirectement par delà l’enceinte de son école à ceux qui avaient été avec lui les familiers de Socrate, il rappelle ici leurs noms ; il l’est également qu’ayant peut-être à réfuter des objections venues du dehors ou du dedans de son école, il les ait placées dans la bouche des moins connus de ces familiers. Se considérant enfin lui-même comme le continuateur de l’œuvre de Socrate, il pouvait se croire en droit de lier comme il l’a fait l’histoire de sa propre pensée à ce qu’il savait du passé de celle de son maître, en prolongeant l’une par l’autre. Personne autour de lui ne pouvait s’y tromper : la fiction était évidente pour tous les lecteurs, et Platon n’avait pas besoin de chercher à la dissimuler. Au surplus c’était la règle même du genre litté-

  1. Voir par ex. p. 63, n. 2.