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PHÉDON

secours de la preuve ? Et ce secours, fut-il efficace ou insuffisant ? Raconte-nous tout par le menu, avec toute l’exactitude dont tu seras capable.

Phédon. — En vérité, Échécrate, maintes fois je me suis émerveillé de Socrate, mais jamais je n’ai ressenti pour lui plus d’admiration que dans ces heures que j’ai passées à son côté. Qu’un 89 homme comme lui ait été à même de répondre, la chose n’a sans doute rien d’extraordinaire. Mais ce que, pour moi, je trouvai de sa part merveilleux au dernier point, ce fut d’abord la bonne grâce, la bienveillance, l’air admiratif dont il accueillit les objections de ces jeunes hommes ; puis la pénétration avec laquelle il se rendit compte de l’effet qu’avaient produit sur nous leurs arguments ; enfin, comme il sut bien nous guérir ! Nous étions pareils à des fuyards, à des vaincus : sa voix nous rappela en avant ; il nous fit faire demi-tour, pour reprendre sous sa conduite et avec lui l’examen de l’argument.

Échécrate. — Et comment cela ?


Phédon reprend.

Phédon. — Je vais te le raconter. Sache que je me trouvais alors à sa droite, assis contre son lit sur b un tabouret, et qu’il me dominait de beaucoup. Il se mit donc à me caresser la tête, pressant dans sa main les cheveux qui flottaient sur mon cou ; c’était en effet sa coutume de me plaisanter à l’occasion sur ma chevelure[1].

« Ainsi, c’est demain, Phédon, me dit-il, que tu feras, je pense, tondre cette superbe chevelure ? — Comme de raison, Socrate ! répondis-je. — Non ! au moins si tu m’en crois. — Explique toi ! fis-je. — C’est aujourd’hui même, dit-il, moi pour la mienne et toi pour celle-ci, s’il est vrai que pour nous ce jour soit justement le dernier de notre argument, et que nous soyons incapables de lui rendre la vie[2] ! Pour ma part, à c ta place et si l’argument me fuyait ainsi des mains, je m’engagerais par serment, à la façon des Argiens, à ne plus porter pareille chevelure avant d’avoir eu, dans de nouveaux combats, la victoire sur l’argumentation de Simmias aussi

  1. L’habitude de Socrate est, non de jouer (comme on traduit) avec les cheveux de Phédon, comme d’un bien-aimé, mais de le railler sur sa toison de Péloponésien, une étrangeté à Athènes (Notice, p. x).
  2. La mort de Socrate n’est rien, et ce n’est pas demain le vrai deuil.