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PHÉDON

notre âme existât en effet avant même d’entrer dans la forme que voici, je ne m’en dédis point ; il n’y a rien là qui ne soit à mon goût et qui n’ait été (si du moins il n’est pas outrecuidant de le déclarer) démontré de façon pleinement satisfaisante ; mais qu’après notre mort elle existe encore, voilà en quoi je ne suis pas du même avis. Non certes que l’âme ne soit pas chose plus vigoureuse et plus durable que le corps ; et cela, je ne le concède pas à l’objection de Simmias, car c’est mon opinion qu’à tous ces points de vue la supériorité de l’âme est immense. « Pourquoi, dans ces conditions (je suppose que c’est l’argument qui parle), être encore incrédule ? Ne reconnais-tu pas qu’une fois l’homme mort, ce qui subsiste, c’est justement ce qu’il y a de plus fragile ? Et, pour ce qui est au contraire plus b durable, tu ne juges pas nécessaire qu’il continue de se conserver pendant ce temps ! » Or voici d’après quoi tu dois examiner si mon langage a du sens ; car moi aussi, naturellement, j’ai comme Simmias besoin d’une image : à mon sens en effet, en s’exprimant de la sorte, on fait exactement comme si, après la mort d’un vieux bonhomme de tisserand, on tenait à son sujet le propos que voici : « Il n’est point supprimé, le bonhomme ; mais il y a un endroit où il se garde en bon état ! » Et, on en présenterait cette preuve, que le vêtement dont il s’enveloppait et qu’il avait lui-même tissé, se conserve en bon état et n’est point détruit. En outre, à qui n’en croirait rien on irait demander : « Lequel des deux est, en son genre, le plus c durable : l’homme ou le vêtement dont il se sert et qu’il porte sur lui ? » Puis, sur la réponse que de beaucoup c’est en son genre l’homme, on se figurerait avoir démontré que, à plus forte raison, l’homme doit par suite se garder, bien sûr, en bon état, s’il est vrai que ce qui est le moins durable n’a pas été détruit !

« Or, à ce que je pense, il n’en va point ainsi, Simmias ; car c’est affaire, même à toi, d’être bien attentif à mes paroles[1]. Pour ce qui est, en effet, de l’argumentation précédente, tout le monde peut en comprendre la naïveté. Je le prouve : s’il est vrai que la disparition de notre tisserand, après qu’il a usé une multitude de tels vêtements et qu’il en a tissé tout autant, est postérieure à la multitude en question,

  1. Cébès a marqué en quoi, contre Simmias, il s’accorde avec