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PHÉDON

d’être sur le point de s’en aller auprès du Dieu dont ils sont les servants. Mais les hommes, avec leur effroi de la mort, calomnient jusqu’aux cygnes : ils se lamentent, dit-on, sur leur mort, la douleur leur inspire ce chant suprême, et l’on ne réfléchit pas que nul oiseau ne chante quand il a faim ou froid et qu’il souffre quelque autre souffrance ; non, pas même rossignol, hirondelle et huppe, qui sont justement d’après la tradition ceux dont le chant est une lamentation de douleur[1]. Et pourtant, pas plus ceux-là, la douleur, à mes yeux, ne les fait chanter qu’elle ne fait chanter les cygnes. Chez ceux-ci, bien plutôt, probablement parce b qu’ils sont les oiseaux d’Apollon, il y a un don divinatoire et c’est la prescience des biens de chez Hadès qui les fait, ce jour-là, chanter joyeusement comme jamais ils ne l’ont fait dans le cours antérieur de leur existence. Or moi, de mon côté, j’estime que je suis attaché au même service que les cygnes ; que je suis consacré au même dieu ; qu’ils ne me surpassent pas pour la faculté de divination que je tiens de notre Maître ; et que de même je n’ai pas plus de tristesse qu’eux à me séparer de la vie. Telles sont au contraire les raisons auxquelles vous devez avoir égard pour parler et pour poser les questions que vous voudrez, tant que nous le permettront les Onze, au nom du peuple d’Athènes.


La théorie de Simmias.

— Voilà, Socrate, qui est bien parler ! dit Simmias : à moi donc de t’expliquer ce qui m’embarrasse, c et Cébès à son tour exposera en quoi il n’accepte pas ce qui a été dit. Mon avis à moi, Socrate, sur les questions de ce genre, et sans doute est-ce aussi le tien, c’est qu’une connaissance certaine en est, dans la vie présente, sinon chose impossible, du moins d’une extrême difficulté. En revanche, bien sûr, si les opinions qui s’y rapportent n’ont pas fait l’objet d’une critique tout à fait approfondie, si l’on quitte la partie sans s’être lassé à regarder en tous sens, c’est qu’on est d’une trempe vraiment bien molle ! Car il faut à ce sujet tâcher de réaliser telle des éventualités que voici : ne pas manquer une occasion de s’instruire, ou trouver par soi-même, ou bien, n’est-on capable ni de l’un ni de l’autre, prendre dans nos humaines traditions ce qui est, après tout, le meilleur et le moins contesta-

  1. Voir notice, p. xxxvii, n. 1 et 2.