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PHÉDON

bien, b je pense, supposer par contre que l’âme soit souillée, et non pas purifiée, quand elle se sépare du corps : c’est du corps en effet qu’elle partageait toujours l’existence, lui qu’elle soignait et aimait ; il l’avait si bien ensorcelée par ses désirs et ses joies qu’elle ne tenait rien d’autre pour vrai que ce qui a figure de corps, que ce qui peut se toucher et se voir, se boire, se manger et servir à l’amour ; tandis que ce qui pour nos regards est ténébreux et invisible, intelligible par contre et saisissable par la philosophie, c’est cela qu’elle s’est accoutumée à haïr, à envisager en tremblant et à fuir ! Si tel est son état, crois-tu que cette âme doive, en se séparant c du corps, être en elle-même, par elle-même et sans mélange ? — Non, pas le moins du monde[1] ! dit-il. — Tu la crois bien plutôt tout entrecoupée, je pense, d’une corporéité que sa familiarité avec ce corps dont elle partage l’existence lui a rendue intime et naturelle, parce qu’elle n’a jamais cessé de vivre en communauté avec lui et qu’elle a multiplié les occasions de s’y exercer[2] ? — Hé ! absolument. — Oui, mais cela pèse, mon cher, il n’en faut pas douter : c’est lourd, terreux, visible ! Puisque c’est là justement le contenu d’une telle âme, elle en est alourdie[3] et attirée, retenue du côté du lieu visible, par la peur qu’elle a de celui qui est invisible et qu’on nomme le pays d’Hadès ; elle se vautre parmi d les monuments funéraires et les sépultures, à l’entour

    Livre des Morts dont les Tablettes d’or, italiotes ou crétoises, nous ont conservé des débris. Aux termes des épreuves infernales qui doivent enfin l’arracher au cercle des générations, l’âme recouvre sa nature divine ; elle est sauvée et doit vivre alors dans la société des Héros (comparer avec le dernier membre de phrase le v. 11 de CIG, XI, 638 Kaibel [Vors. 66, B 17]). Voir H. Alline, Le paradis orphique, etc. dans Xénia (Athènes, 1912), p. 94 sqq. et ici p. 17, n. 2 et p. 25, n. 1.

  1. L’âme qui n’a pas réussi à se laver de ses souillures reste liée au corps, et c’est ce qui l’empêche de sortir du cercle des générations. Il n’y a pas lieu, à ce propos, de rappeler (avec Archer Hind) la polémique du Théétète 155 e et du Sophiste 246 a contre la doctrine, purement spéculative, de ces « Fils de la Terre », pour qui être et être corps sont une seule et même chose. Que le Théétète les appelle « non initiés », c’est une analogie tout extérieure.
  2. Autrement, elle se concentre et se recueille (70 a, 80 e, 83 a).
  3. Même image, différemment amenée, dans Phèdre 248 c fin. Il