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NOTICE

par trop dissimulé et, en outre, singulièrement maladroit : leur absence n’est sans doute pas plus coupable aux yeux de Platon que ne l’est la sienne propre. Ce qui seul est intéressant, c’est qu’il ait tenu à nommer Aristippe parmi les fidèles authentiques du Socratisme. Du reste le Socrate du Banquet est-il si éloigné de l’attitude du Sage cyrénaïque ? L’idéal de celui-ci n’est-il pas, d’autre part, qu’il faut se rendre indépendant des choses et les maîtriser par la pensée, savoir toujours cueillir en elles, quelles qu’elles soient, la fleur du plaisir et chercher celle-ci à égale distance de l’apathie complète et des passions violentes, qui sont toujours douloureuses[1] ? La sérénité de Socrate en face de la mort et l’allégresse de la libération prochaine s’accordent aisément avec un tel idéal.

Ainsi, pour des raisons de fait, deux disciples notoires se trouvent être exclus de l’entretien. Il en reste en revanche deux autres parmi les présents : c’est Antisthène, qui doit fonder l’école dite Cynique, et c’est Euclide, qui est déjà ou qui va devenir scolarque à Mégare. Or c’est assez pour Platon d’avoir cité leurs noms : il ne leur fait aucune place dans un entretien aussi riche de philosophie, au cours duquel leur silence ne laisse pas d’étonner. Pourquoi ce parti pris ? Vraisemblablement parce que ce sont des contemporains, et que les convenances littéraires du temps interdisaient à Platon de prêter à des contemporains un langage qu’au moment supposé de l’entretien ils n’avaient pas en effet tenu, ou qui n’est plus le leur au moment où il écrit. Dès lors n’est-on pas déjà tenté de penser qu’il n’y a pas lieu de chercher dans le Phédon un récit historique et qu’il est une fiction ?

Cette présomption se confirme, si inversement on s’interroge au sujet de ceux qui sont, avec Socrate, les principaux protagonistes de l’entretien dans ce qu’il a de proprement philosophique : Simmias[2], Cébès et enfin cet inconnu mystérieux, héraclitéen ou protagoréen en qui il y a comme un reflet de la pensée d’Aristippe, et dont l’objection topique (103 a) commande la partie décisive du dialogue. Quant aux deux autres, dont le rôle, surtout celui du second, n’est pas

  1. Sans doute ces idées sont plutôt celles du second Aristippe, le petit-fils du nôtre. Mais vraisemblablement elles étaient déjà celles de l’ancêtre qui combinait au Socratisme des influences héraclitéennes, transposées par l’enseignement de Protagoras.
  2. Diog. La. II, 124, écrit Simias.