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PHÉDON

— Ainsi donc, nécessairement, poursuivit Socrate, b toutes ces considérations font naître en l’esprit des philosophes authentiques une croyance capable de leur inspirer dans leurs entretiens un langage tel que celui-ci : « Oui, peut-être bien y a-t-il une sorte de sentier qui nous mène tout droit, quand le raisonnement nous accompagne dans la recherche ; et c’est cette idée : aussi longtemps que nous aurons notre corps et que notre âme sera pétrie avec cette chose mauvaise, jamais nous ne posséderons en suffisance l’objet de notre désir[1]. Or cet objet, c’est, disons-nous, la vérité. Et non seulement mille et mille tracas nous sont en effet suscités par le corps à l’occasion des nécessités de la vie ; mais, c des maladies surviennent-elles, voilà pour nous de nouvelles entraves dans notre chasse au réel ! Amours, désirs, craintes, imaginations de toute sorte, innombrables sornettes, il nous en remplit si bien, que par lui (oui, c’est vraiment le mot connu) ne nous vient même, réellement, aucune pensée de bon sens ; non, pas une fois ! Voyez plutôt : les guerres, les dissensions, la bataille, il n’y a pour les susciter que le corps et ses convoitises ; la possession des biens, voilà en effet la cause originelle de toutes les guerres, et, si nous sommes poussés à nous procurer des biens, c’est à cause d du corps, esclaves attachés à son service ! Par sa faute encore, nous mettons de la paresse à philosopher à cause de tout cela. Mais ce qui est le comble, c’est que, sommes-nous arrivés enfin à avoir de son côté quelque tranquillité, pour nous tourner alors vers un objet quelconque de réflexion, nos recherches sont à nouveau bousculées en tous sens par cet intrus qui nous

  1. Passage controversé, où cependant la suite des idées semble claire : « quand on raisonne, on va droit au but (la réalité essentielle de chaque chose), et par le plus court chemin (la pensée), si l’on se dit que toute donnée corporelle, sensations ou passions, introduite dans le raisonnement, nous détournera fatalement de cette route étroite, mais sûre et directe ». Bref c’est un résumé de ce que Platon a dit plus haut, 65 d sqq., et même en des termes très voisins (65 e sq.). Pareillement Descartes, après avoir défini par la Pensée la réalité de ce qu’il est, se dit à lui-même au début de la IIIe Méditation : « Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens,… et ainsi, m’entretenant seulement avec moi-même, je tâcherai… »