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GORGIAS

Socrate. — Et je ne dirai que la vérité pure ; car je ne sais ce qu’il vaut quant à l’instruction et à la justice.

Polos. — Eh bien ? est-ce en cela que réside la totalité du bonheur ?

Socrate. — Oui, Polos, à mon avis : l’homme et la femme sont heureux quand ils sont bien élevés ; s’ils sont injustes et mauvais, ils sont malheureux.

471 Polos. — Alors, d’après ton raisonnement, cet Archélaos serait malheureux ?

Socrate. — Oui, mon cher, s’il est injuste.

Polos. — Injuste ! Comment ne le serait-il pas ? Il n’avait aucun titre au pouvoir qu’il exerce, étant né d’une femme qui était esclave d’Alkétès frère de Perdiccas, de sorte qu’il était lui-même, en droit, esclave d’Alkétès, et que, s’il avait voulu observer la justice, il le serait demeuré et serait ainsi heureux, d’après toi. Mais, au lieu de cela, il est tombé au dernier degré du malheur, car il a commis tous les crimes. Pour commencer, il a fait venir b cet Alkétès, son maître et son oncle, sous prétexte de lui rendre le pouvoir dont Perdiccas l’avait dépouillé ; mais l’ayant reçu dans sa demeure, il l’enivra ainsi que son fils Alexandre, qui était son propre cousin, et avait à peu près même âge que lui, puis les mettant tous deux dans un char, il les emmena de nuit, les égorgea et les fit disparaître. Ce crime accompli, il ne s’aperçut pas qu’il était devenu le plus malheureux des hommes, n’éprouva aucun remords, et même, peu de temps après, alors que son propre frère, le fils légitime c de Perdiccas, un enfant d’environ sept ans, se trouvait être légalement l’héritier de la couronne, au lieu de consentir à se rendre heureux en élevant l’enfant comme le voulait la justice et en lui rendant sa couronne, il le jeta dans un puits, le noya, puis alla dire à sa mère, Cléopâtre, qu’en poursuivant une oie il était tombé dans le puits où il avait péri. Évidemment, étant le plus grand criminel de tous les Macédoniens, bien loin d’en être le plus heureux, il en est le plus misérable, et sans doute plus

    Thucydide (II, 100, 2) ne lui marchande pas les éloges, et on sait que sa cour de Pella fut un centre brillant de civilisation : il y avait attiré Euripide, Choerilos, Agathon, le musicien Timothée. Il mourut, en 399, de mort violente, probablement assassiné (cf. Plat. AlcII, 141 d ; Arist. Pol. V, viii, 13 ; Diod. XIV, 37).