Polos. — Ne reconnaissais-tu pas tout à l’heure qu’ils faisaient ce qui leur paraissait le meilleur ?
Socrate. — Je le reconnais encore.
Polos. — Alors, ne font-ils pas ce qu’ils veulent ?
Socrate. — Je le nie.
Polos. — Quand ils font ce qui leur plaît ?
Socrate. — Oui.
Polos. — Tu dis-là, Socrate, des choses misérables, des énormités !
Socrate. — Ne sois pas amer, mon très cher, pour parler à ta façon[1]. c Si tu es capable de m’interroger, prouve-moi la fausseté de mon opinion ; sinon, réponds toi-même à mes questions.
Polos. — Je ne demande pas mieux que de répondre, pour voir enfin ce que tu veux dire.
Socrate. — À ton avis, les hommes, dans leurs actions, veulent-ils toujours la chose même qu’ils font, ou celle en vue de laquelle ils agissent ? Par exemple, ceux qui avalent une drogue qu’un médecin leur donne, veulent-ils la chose qu’ils font, avaler une boisson répugnante, ou bien cette autre chose, la santé, en vue de laquelle ils boivent la drogue ?
Polos. — Ils veulent évidemment la santé.
d Socrate. — De même, les navigateurs et les autres trafiquants, lorsqu’ils se livrent à une besogne, n’ont pas la volonté de la besogne qu’ils sont en train de faire ; quel homme est désireux de traversées, de dangers, de tracas ? L’objet de leur vouloir, c’est la fin pour laquelle ils naviguent, la richesse, car on navigue pour s’enrichir.
Polos. — C’est vrai.
Socrate. — N’en est-il pas de même pour tout, et quand on agit en vue d’un résultat, la chose voulue n’est-elle pas le résultat de l’action, et non l’action ?
Polos. — Oui.
- ↑ Le grec présente une allitération dans le goût de Polos : la traduction en donne un équivalent.
« faire ce qu’on veut » et « faire ce qui plaît ». Socrate va lui-même parler et de « faire ce qui paraît le meilleur » et de le faire « en étant privé de raison » (et même, à ce propos, de prouver que « la rhétorique est un art »). Avant d’engager la discussion (467 a) qui la résoudra, Platon complique son énigme à plaisir.