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GORGIAS

et leur art. Les maîtres ne sont donc pas coupables et l’art n’encourt de ce chef ni responsabilité ni blâme : toute la faute est à ceux qui en usent mal.

Le même raisonnement s’applique à la rhétorique. L’orateur, sans doute, est capable de parler contre tout adversaire et sur tout sujet de manière à persuader la foule mieux qu’un autre et b à obtenir d’elle, en un mot, tout ce qu’il veut. Mais il ne résulte pas de là qu’il doive dépouiller de leur gloire les médecins ni les autres artisans, par la seule raison qu’il le pourrait ; on doit user de la rhétorique avec justice, comme de toutes les armes. Si un homme, devenu habile dans la rhétorique, se sert ensuite de sa puissance et de son art pour faire le mal, ce n’est pas le maître, à mon avis, qui mérite la réprobation et l’exil ; c car celui-ci enseignait son art en vue d’un usage légitime, et le disciple en a fait un abus tout contraire. C’est donc celui qui en use mal qui mérite la haine et l’exil et la mort, mais non le maître.


Socrate, avant de continuer la discussion, explique dans quel esprit il veut le faire.

Socrate. — J’imagine, Gorgias, que tu as assisté, comme moi, a de nombreuses discussions et que tu as dû remarquer combien il est rare que les deux adversaires commencent par définir exactement le sujet de leur entretien, puis se séparent après s’être instruits d et éclairés réciproquement : au lieu de cela, s’ils sont en désaccord et que l’un des deux trouve que l’autre se trompe ou n’est pas clair, ils s’irritent, accusent l’adversaire de malveillance et leur discussion est plutôt une dispute que l’examen d’un problème. Quelques-uns même finissent par se séparer fort vilainement, après un tel échange d’injures que les assistants s’en veulent à eux-mêmes de s’être risqués en pareille compagnie.

e Pourquoi dis-je ces choses ? C’est qu’en ce moment tu me parais exprimer des idées qui ne sont point tout à fait d’accord et en harmonie avec ce que tu disais au début sur la rhétorique. J’hésite donc à les combattre, dans la crainte que

    dans la rhétorique, Platon a voulu montrer comment ses plus honorables tenants croyaient la défendre. Mais Gorgias va voir l’argument qu’il fournit (et qu’on retrouve dans Isocrate XV 251-52) se retourner contre lui et le jeter dans la contradiction (460 d).