ce pouvoir, tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe, et quant au fameux financier, on s’apercevra qu’il aura financé non pour lui-même, mais pour autrui, pour toi qui sais parler et qui persuades la multitude.
Socrate. — Maintenant, Gorgias, tu me parais avoir déterminé aussi exactement 453 que possible quel art est selon toi la rhétorique, et, si je te comprends bien, tu affirmes que la rhétorique est une ouvrière de persuasion, que c’est à cela que tend et qu’aboutit tout son effort. Vois-tu quelque autre pouvoir à lui attribuer que celui de produire la persuasion chez les auditeurs ?
Gorgias. — Nullement, Socrate, et tu me parais l’avoir parfaitement définie ; car tel est bien son caractère essentiel.
5o Quelle sorte de persuasion produit la rhétorique.
Socrate. — Écoute-moi, Gorgias. Sache donc que, s’il est des gens qui tiennent b à savoir, dans un entretien, de quoi l’on parle exactement, je suis certainement de ceux-là ; toi aussi, j’aime à le croire.
Gorgias. — Et après, Socrate ?
Socrate. — Je vais te le dire. Cette persuasion dont tu parles, produite par la rhétorique, qu’est-elle au juste et sur quoi porte-t-elle ? Je t’avoue que je ne le vois pas distinctement, et, bien que je croie deviner ce que tu penses de sa nature et de son objet, je te prierai néanmoins de me dire comment tu conçois cette persuasion créée par la rhétorique et à quelles choses elle s’applique c suivant toi. Pourquoi, croyant entrevoir ta pensée, ai-je le désir de t’interroger au lieu de l’exposer moi-même ? Ce n’est pas ta personne que j’envisage, c’est notre discours lui-même[1], que je voudrais voir avancer de manière à mettre en pleine lumière ce qui est son objet. Vois plutôt si je n’ai pas raison de pousser ainsi mon interrogation. Si je t’avais demandé quel genre de peintre était Zeuxis[2] et que tu m’eusses répondu : c’est un peintre de figures animées, n’aurais-je pas été en droit de te demander quelles figures animées il peint ? Est-ce vrai ?