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MÉNON

chose quand on affirme que toute action accompagnée de justice est vertueuse. Qu’en penses-tu ? Ne juges-tu pas qu’une reprise de ma question soit utile et t’imagines-tu qu’on puisse reconnaître une partie de la vertu sans connaître la vertu elle-même ?

Ménon. — Je ne le pense pas.

Socrate. — Si d tu t’en souviens, en effet, lorsque je te répondais sur la figure, nous avons rejeté une définition de ce genre parce qu’elle s’appuyait sur ce qui était encore en question, et qu’elle supposait admis ce qui ne l’était pas.

Ménon. — Nous avons eu raison de la rejeter, Socrate.

Socrate. — Tu ne dois donc pas non plus, mon cher, lorsque nous cherchons encore ce qu’est la vertu en général, t’imaginer que tu puisses, en faisant intervenir les parties de la vertu dans ta réponse, expliquer à personne ce qu’est la vertu, ni, du reste, aucune autre chose que tu définirais de cette façon ; mais il faut que la même question initiale soit de nouveau posée : qu’est-ce que cette vertu à propos de laquelle tu parles comme tu le fais ? Juges-tu mon observation sans valeur ?

Ménon. — Je la crois juste, quant à moi.

Socrate. — Eh bien alors, réponds-moi donc de nouveau à partir du commencement : qu’est-ce que la vertu, selon toi et selon ton ami ?


Intermède.

Ménon. — Socrate, j’avais appris par ouï-dire, avant même de te rencontrer, que tu ne faisais pas autre chose que trouver 80 partout des difficultés et en faire trouver aux autres[1]. En ce moment même, je le vois bien, par je ne sais quelle magie et quelles drogues, par tes incantations, tu m’as si bien ensorcelé que j’ai la tête remplie de doutes. J’oserais dire, si tu me permets une plaisanterie, que tu me parais ressembler tout à fait, par l’aspect et par tout le reste, à ce large poisson de mer qui s’appelle une torpille. Celle-ci engourdit aussitôt quiconque s’approche et la touche ; tu m’as fait éprouver un effet semblable, [tu m’as engourdi]. Oui, je suis vraiment engourdi b de corps et d’âme, et je suis incapable de te répondre. Cent fois, pourtant, j’ai fait des discours sur la vertu, devant des foules, et tou-

  1. Cf. Théét. 149 a et, ci-dessus, p. 217, n.