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GORGIAS

Calliclès. — Oui.

Socrate. — En fait, cependant, il les a laissés plus féroces qu’il ne les avait pris, et cela contre sa propre personne, ce qu’il devait désirer moins que tout.

Calliclès. — Tu veux que je te l’accorde ?

Socrate. — Oui, si tu trouves que j’ai raison.

Calliclès. — Eh bien, soit.

Socrate. — S’ils étaient plus féroces, ils étaient donc plus injustes et pires ?

Calliclès. — Soit.

Socrate. — D’où il suit que Périclès était un mauvais politique ?

Calliclès. — Du moins à ton avis.

Socrate. — À ton avis également, si j’en crois tes déclarations antérieures. Mais parlons maintenant de Cimon[1] : n’a-t-il pas été frappé d’ostracisme par ceux qu’il dirigeait, afin qu’ils n’eussent plus à entendre avant dix ans le son de sa voix ? Et Thémistocle, n’a-t-il pas été traité de même et en outre exilé ? Quant à Miltiade, le vainqueur de Marathon, ils avaient déjà décidé qu’il serait précipité dans le barathre, et sans l’opposition du chef des prytanes, c’était chose faite. Tous ces hommes cependant, s’ils avaient eu le mérite que tu leur attribues, n’auraient pas été ainsi traités. On ne voit pas les bons cochers d’abord fermes sur leurs sièges, et plus tard, quand ils ont dressé leur attelage et pris eux-mêmes de l’expérience, se laissant désarçonner. Cela n’est vrai ni dans l’art de conduire les chevaux ni dans aucun autre. Es-tu d’un avis contraire ?

Calliclès. — Non certes.

Socrate. — Par conséquent, c’est avec raison, semble-t-il, que nous affirmions dans nos précédents discours que jamais, à notre connaissance, Athènes n’avait possédé un bon et véritable homme d’État. Pour toi, tu abandonnais volontiers ceux d’aujourd’hui, mais tu vantais les anciens et tu avais mis à part ceux que nous venons de dire. Or ceux-ci nous sont appa-

  1. Les faits sont repris en remontant l’ordre des temps. Cimon avait été frappé d’ostracisme en 461 et rappelé après Tanagra, en 457. L’ostracisme de Thémistocle se place entre 474 et 472 ; son bannissement par contumace, vers 471-70. Quant au procès de Miltiade, un peu dramatisé ici, il suivit son échec à Paros (489).