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GORGIAS

Calliclès. — Je ne m’inquiète même aucunement de ce que tu peux dire, et je ne t’ai répondu que pour faire plaisir à Gorgias.

Socrate. — Soit ; mais alors, qu’allons-nous faire ? Briserons-nous l’entretien sans conclure ?

Calliclès. — Fais comme tu voudras.

dSocrate. — Il n’est pas permis, dit-on, de laisser en plan même un conte : il faut lui donner une tête, pour l’empêcher de vaguer sans tête, çà et là. Achève donc de me répondre, pour que notre discussion reçoive aussi son couronnement.

Calliclès. — Quel tyran tu fais, Socrate ! Si tu veux m’en croire, tu laisseras là cette discussion, ou tu la poursuivras avec un autre.

Socrate. — Eh bien, qui se présente ? Nous ne pouvons cependant pas laisser notre propos inachevé !

Calliclès. — Ne peux-tu, à toi seul, le développer tout entier, soit au moyen d’un monologue, soit en faisant toi-même les demandes et les réponses ?

eSocrate. — Tu veux donc qu’il m’arrive, comme dit Épicharme, « de remplir seul l’office de deux hommes » ? J’ai peur de ne pouvoir me soustraire à cette nécessité. Mais, s’il faut en venir là, je crois que nous devons rivaliser d’ardeur pour découvrir où est la vérité, où est l’erreur, dans la question qui nous occupe : car nous avons tous le même intérêt à voir clair sur ce point. Je vais donc exposer ce que j’en pense, 506et si quelqu’un d’entre vous juge que je m’accorde à moi-même une proposition qui ne soit pas vraie, il faut qu’il m’interpelle et qu’il me réfute. Car je ne donne pas moi-même ce que je dis pour une vérité dont je sois sûr : je cherche en commun avec vous, de sorte que si mon contradicteur me semble avoir raison, je serai le premier à lui rendre les armes. Si je vous fais d’ailleurs cette offre, c’est dans l’idée que vous croyez bon d’achever la discussion ; si tel n’est pas votre désir, laissons cela et séparons-nous.


Calliclès renonce à discuter.
Socrate parlera seul et Calliclès répondra pour la forme.

Gorgias. — Je ne suis pas du tout d’avis de nous séparer, bSocrate, et je te demande d’exposer ta pensée : tel est aussi, je crois, l’avis de tous les assistants. Pour moi, j’ai un vif désir de t’entendre développer toi-même ce qui reste à examiner.