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GORGIAS

malade et misérable des aliments en abondance, des boissons délicieuses et ce qu’il y a de plus agréable en tout genre, s’il doit, ou n’en tirer souvent aucun profit, ou même, selon la vraisemblance, s’en trouver au contraire plus mal ? Est-ce vrai ?

505Calliclès. — Soit.

Socrate. — Ce n’est point, je pense, un avantage de vivre avec un corps misérable, car la vie elle aussi, en ce cas, est forcément misérable. N’es-tu pas de mon avis ?

Calliclès. — Oui.

Socrate. — N’est-ce pas ainsi que les médecins permettent en général à un homme bien portant de satisfaire ses désirs : par exemple, quand il a soif ou faim, de boire ou de manger autant qu’il lui plaît ; tandis qu’au malade, au contraire, ils défendent à peu près tout ce dont il a envie ? En conviens-tu avec moi ?

bCalliclès. — Oui certes.

Socrate. — Quand il s’agit de l’âme, la règle n’est-elle pas la même ? Aussi longtemps qu’elle est mauvaise, par ignorance, intempérance, injustice ou impiété, il faut la priver de ce qu’elle désire et ne lui laisser faire que ce qui peut la rendre meilleure. Es-tu de cet avis ?

Calliclès. — Oui.

Socrate. — N’est-ce pas là ce qui vaut le mieux pour l’âme elle-même ?

Calliclès. — Assurément.

Socrate. — Mais la priver de ce qu’elle désire, n’est-ce pas la châtier ?

Calliclès. — Sans doute.

Socrate. — Ainsi donc, mieux vaut pour l’âme le châtiment que l’intempérance[1], que tu préférais tout à l’heure.

cCalliclès. — Je ne sais ce que tu veux dire, Socrate ; interroge un autre que moi.

Socrate. — Ce Calliclès ne peut souffrir qu’on lui rende service ! Il repousse la chose même dont nous parlons, le châtiment !

  1. Il y a dans le texte un effet que la traduction ne peut rendre. « Le châtiment », c’est τὸ κολάζεσθαι, c’est-à-dire le fait de se voir réprimer ; « l’intempérance », c’est ἡ ἀκολασία, c’est-à-dire l’impatience de toute répression : par sa formation même le second mot apparaît comme contraire du premier.