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NOTICE

L’attitude de Socrate, devant cet étourdi plein de jactance et qui se croit très fort, est de toute beauté, d’abord par l’aisance de son ironie, ensuite par la hauteur sereine de son inspiration, qui s’élève sans effort jusqu’aux plus hautes pensées.

Il commence par des arguments, et c’est merveille de voir avec quelle facilité il renverse le grand argument de Calliclès, à savoir que la loi, œuvre des faibles contre les forts, des moutons contre les lions, est en opposition avec la nature qui veut le triomphe des lions et des forts. Si les faibles, dit Socrate, ont imposé leur loi aux forts, c’est donc qu’ils sont en réalité les plus forts ; mais alors la loi et la nature sont d’accord. Calliclès réplique par des distinctions que Socrate dissèque et détruit les unes après les autres, et la discussion dialectique se poursuit ainsi avec une subtilité que notre goût moderne trouve parfois excessive, mais à laquelle on ne peut refuser une efficacité redoutable. Calliclès enfin est vaincu et le laisse voir en cessant de discuter sérieusement.

On demande alors à Socrate de prendre seul la parole et d’exposer d’une manière suivie les idées qu’il a déjà laissé entrevoir sur la vie présente et sur la vie future. Socrate consent. Il parle d’abord de la vie du juste sur la terre, puis, sous forme mythique, de la destinée réservée au juste après la mort. On lira ces pages, que nous n’avons pas à résumer ici ; mais il convient peut-être de rappeler en quelques mots ce qui fait la beauté unique de l’éloquence de Socrate (ou de Platon) dans les morceaux de ce genre.

C’est une éloquence qui a pour caractère essentiel, suivant le mot de Pascal, de se moquer de l’éloquence. Rien ne ressemble moins au discours d’un rhéteur ou même d’un orateur de profession. Nul ornement, nulle figure de rhétorique, nul mouvement extérieur de passion. Ce ne sont que mots très simples dans des phrases tout unies. Mais, sous ces mots et sous ces phrases, on sent courir le frémissement d’une pensée qui s’avance d’un mouvement régulier vers une fin très haute. Il semble que celui qui parle ainsi écoute en lui-même une voix divine qui l’appelle, et que toute son âme soit comme enivrée d’une vision de plus en plus prochaine. Quand on passe des choses de la terre à celles de l’autre vie, de la réalité au mythe, le discours, avec plus de poésie, garde la même force intime et profonde. C’est toujours le même