Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.
494 c
177
GORGIAS

d’éprouver le besoin de se gratter, de pouvoir se gratter copieusement et de passer sa vie à se gratter[1] ?

dCalliclès. — Quelle absurdité, Socrate ! Tu parles en véritable orateur politique.

Socrate. — Aussi ai-je frappé Gorgias et Polos d’une stupeur mêlée de honte. Mais toi, Calliclès, tu n’éprouveras ni stupeur ni honte, car tu es un brave. Réponds-moi donc seulement.

Calliclès. — Eh bien, je te réponds que se gratter ainsi, c’est encore vivre agréablement.

Socrate. — Si cette vie est agréable, elle est donc heureuse ?

Calliclès. — Sans aucun doute.

eSocrate. — Est-ce seulement à la tête qu’il est agréable d’avoir envie de se gratter, ou dois-je pousser plus loin l’interrogation ? Songe, Calliclès, à ce que tu devrais répondre si on te posait toutes les questions à la suite, et, pour tout résumer d’un mot, la vie d’un débauché n’est-elle pas affreuse, honteuse et misérable ? Oseras-tu dire que les gens de cette espèce sont heureux, s’ils ont en abondance tout ce qu’ils désirent ?

Calliclès. — N’as-tu pas honte, Socrate, d’en venir à de pareils sujets ?


Conséquences honteuses :
ne faut-il pas distinguer entre les plaisirs ?

Socrate. — Qui donc nous y a conduits ? Est-ce moi, Calliclès, ou celui qui déclare avec tranquillité que le plaisir, quelle qu’en soit la nature, constitue le bonheur, et qui, 495entre les plaisirs, ne distingue pas les bons des mauvais ? Dis-moi donc encore une fois si tu maintiens toujours que le plaisir est identique au bien, ou si tu reconnais que certains plaisirs ne sont pas bons ?

Calliclès. — Pour ne pas contredire ma première affirmation en niant l’identité des deux choses, je la maintiens.

Socrate. — Tu ruines nos premières positions, Calliclès, et n’as plus qualité pour chercher avec moi la vérité, si tu parles contre ta pensée.

bCalliclès. — Mais c’est ce que tu fais toi-même, Socrate.

  1. Cf. Philèbe 46 b.