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GORGIAS

présente est une mort, que notre corps est un tombeau[1], et que cette partie de l’âme où résident les passions obéit, de par sa nature, aux impulsions les plus contraires. Cette même partie de l’âme, docile et crédule, un spirituel conteur de mythes, quelque Italien sans doute, ou quelque Sicilien, jouant sur les mots[2], l’a représentée comme un tonneau, et les insensés comme des non-initiés ; bchez les insensés, cette partie de l’âme où sont les passions, il l’appelle, à cause de son dérèglement et de son incapacité de rien garder, un tonneau percé, par allusion à leur nature insatiable. Tout au contraire de toi, Calliclès, il nous montre que parmi tous les habitants de l’Hadès — désignant ainsi le monde invisible —, les plus misérables sont ces non-initiés, obligés de verser dans des tonneaux sans fond de l’eau qu’ils apportent avec des cribles également incapables de la garder. Par ces cribles, à ce que me disait celui qui m’exposait ces choses, il entendait l’âme, cet il comparait l’âme des insensés à un crible parce qu’elle était, disait-il, percée de trous, laissant tout fuir par aveuglement et par oubli.

Ces images, sans doute, ont quelque chose de bizarre, mais elles expriment bien ce par quoi je voudrais te persuader, si j’en suis capable, de changer d’idée, et de préférer à une existence inassouvie et sans frein une vie bien réglée, satisfaite toujours de ce qu’elle a et ne demandant pas davantage.

dAi-je réussi à te faire changer d’avis et à te persuader qu’on est plus heureux dans l’ordre que dans le désordre ? Ou bien vingt autres mythes seraient-ils également impuissants à t’ébranler ?

Calliclès. — C’est ta seconde hypothèse qui est la vraie, Socrate.

Socrate. — Eh bien, voici une autre image qui vient de la même école. Examine si les deux genres de vie, celle du sage et celle du désordonné, ne sont pas comparables à la condition de deux hommes dont chacun aurait à sa disposition de nombreux tonneaux : ceux du premier seraient en bon état et remplis de vin, ede miel, de lait, et ainsi de suite,

  1. Cf. Philolaos, fragment 15, D. L’image s’avive en grec d’une apparente analogie entre les mots σῶμα corps et σῆμα tombeau.
  2. Suit, en effet, une série d’à-peu-près sur πιθανός docile aux impulsions et πίθος tonneau, ἀνόητος insensé et ἀμύητος non initié et aussi