Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
473 d
147
GORGIAS

Polos. — Oui.

Socrate. — Dans ce cas, il ne saurait y avoir aucune supériorité de bonheur ni pour celui qui s’empare de la tyrannie injustement ni pour celui qui est livré au châtiment ; car, de deux malheureux, ni l’un ni l’autre n’est « le plus heureux ». Ce qui est vrai, c’est que le plus malheureux edes deux est celui qui a pu échapper et devenir tyran. Quoi, Polos ? Tu ricanes ? Est-ce là encore une nouvelle forme de réfutation, que de se moquer de ce qu’on dit, sans donner de raisons ?

Polos. — Crois-tu, Socrate, que des raisons soient nécessaires, quand tu tiens un langage que personne ne voudrait tenir ? Demande plutôt aux assistants.

Socrate. — Polos, je ne suis pas un politique, et l’an passé, devenu par le sort membre du Conseil des Cinq-cents, quand ce fut au tour de ma tribu d’exercer la prytanie et que je dus présider au vote de l’Assemblée[1], 474je prêtai à rire, ne sachant comment mettre la question aux voix. Ne me demande donc pas non plus aujourd’hui de faire voter les assistants. Si tu n’as pas de meilleurs arguments à m’opposer, laisse-moi tenir ta place à mon tour, comme je te le proposais tout à l’heure, et fais ainsi l’expérience de ce que j’entends par un argument.

Pour moi, en effet, je ne sais produire en faveur de mes opinions qu’un seul témoin, mon interlocuteur lui-même, et je donne congé aux autres ; je sais faire voter un témoin unique, mais s’ils sont en nombre, je ne leur adresse même pas la parole. bVois donc si tu consens à te laisser à ton tour mettre à l’épreuve, en répondant à mes questions.

Je crois, quant à moi, que toi-même, moi et tous les hommes, nous sommes d’accord pour juger que commettre l’injustice est pire que d’en être victime et qu’échapper au châtiment est pire que de le subir.

Polos. — Et moi, je crois que ni moi ni personne ne sommes de cet avis. Toi-même, aimerais-tu mieux souffrir l’injustice que la commettre ?

Socrate. — Oui, comme toi et comme tout le monde.

Polos. — Tant s’en faut ; ni moi, ni toi, ni personne.

cSocrate. — Veux-tu me répondre ?

Polos. — Assurément : je suis curieux de savoir ce que tu pourras bien dire.

  1. Ceci semble se rapporter à son rôle lors du procès des Arginuses,