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PROTAGORAS

un homme qu’on sait être injuste vient à dire publiquement la vérité sur son propre compte, cette franchise, qui semblait sagesse tout à l’heure, paraît maintenant folie, et on proclame que tous les hommes doivent se dire justes, qu’ils le soient ou non, et que celui qui ne feint pas d’être juste est un fou : tant il est vrai qu’on estime impossible qu’un homme n’ait pas en quelque mesure sa part de justice, sous peine d’être exclu de l’humanité.

« Sur ce point donc, à savoir que si les Athéniens acceptent, en matière de justice, les conseils du premier venu, c’est par suite de la conviction que tous les hommes participent à la justice, voilà ce que j’avais à dire.


2o Tout le monde admet cependant que la vertu s’enseigne.

« D’autre part, que la justice, à leur sentiment, ne soit le fruit ni de la nature ni du hasard, mais qu’elle s’enseigne et que ceux qui la possèdent la doivent à leur application, c’est ce que je vais maintenant essayer de te démontrer.

« Les défauts que les hommes considèrent comme étant chez leurs semblables un effet de la nature ou du hasard ne provoquent envers ceux qui en sont atteints ni colère, ni conseils, ni leçons, ni châtiments en vue de les en débarrasser, mais seulement de la pitié. Si, par exemple, un homme est laid, petit ou faible, qui serait assez sot pour agir ainsi à son égard ? On sait bien, j’imagine, qu’en cela, qualités comme défauts contraires, sont chez les hommes l’effet de la nature et du hasard. Mais quand il s’agit des qualités qu’on estime pouvoir être acquises par l’application, par l’exercice et par l’enseignement, si elles manquent à un homme et qu’elles soient remplacées chez lui par les défauts contraires, c’est alors que se produisent les colères, les punitions et les exhortations. Or, dans ce domaine rentrent l’injustice, l’impiété, et en général tout ce qui s’oppose à la vertu politique : c’est sur ce point que personne ne ménage à personne ni la colère ni les exhortations, signe évident que cette vertu est regardée comme étant un fruit de l’application et de l’étude.

« Si tu veux bien réfléchir, Socrate, à l’effet visé par la punition du coupable, la réalité elle-même te montrera que les hommes considèrent la vertu comme une chose qui s’acquiert. Personne, en effet, en punissant un coupable, n’a en vue ni