Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
316 c
30
PROTAGORAS

étranger, vient dans des cités puissantes, et que, dans ces cités, il engage l’élite des jeunes gens à quitter les autres fréquentations, celles de leurs compatriotes et des étrangers, celles des plus âgés et des plus jeunes, pour s’attacher uniquement à lui dans la pensée que sa fréquentation les rendra meilleurs, cet homme-là doit agir avec prudence : car il suscite par sa conduite des jalousies, des animadversions, des hostilités qui ne sont pas médiocres.

J’affirme, quant à moi, que l’art de la sophistique est ancien, mais que ceux des anciens qui pratiquaient cet art avaient coutume, pour éviter l’odieux qui s’y attache, de le déguiser et de le dissimuler sous des masques divers, les uns sous celui de la poésie, comme Homère, Hésiode ou Simonide, les autres sous celui des initiations et des prophéties, comme les Orphée et les Musée ; quelques-uns aussi, à ce que je vois, sous celui de la gymnastique, comme Iccos[1] de Tarente et de nos jours, ce sophiste égal aux plus grands, Hérodicos de Sélymbrie, et autrefois de Mégare ; de même, la musique a servi de déguisement à votre compatriote Agathocle, qui était un grand sophiste, ainsi qu’à Pythoclide de Céos et à beaucoup d’autres.

Tous ces hommes, je le répète, par crainte de l’envie, ont abrité leur art sous ces voiles divers. Mais moi, je ne partage pas en ce point leur manière de voir : j’estime qu’ils n’ont nullement atteint leur but ; car je ne crois pas qu’ils aient trompé la clairvoyance des hommes qui ont le pouvoir dans les cités, et qui sont les seuls contre lesquels on prenne ces précautions ; la foule, en effet, est pour ainsi dire aveugle, et ce que les grands proclament devant elle, elle le répète en chœur. Or, chercher à fuir, et, au lieu de s’échapper, se faire découvrir, c’est en soi une démarche pleine de folie, et en outre le vrai moyen de susciter encore plus de haine : car, en dehors des autres griefs, on s’attire ainsi des reproches de fourberie.

C’est pourquoi j’ai suivi une voie toute contraire : je déclare ouvertement que je suis un sophiste et un éducateur, et

    est le poète tragique célébré précisément dans ce dialogue. — Des deux Adimante, le fils de Leucolophidès, accusé de trahison après Aegos-Potamoi (Xén. Hell. 2, 1, 32 ; Lys., XIV, 38), est le seul qui soit connu.

  1. Iccos (Lois VIII, 840 a) à la fois athlète et théoricien de la