Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311 e
24
PROTAGORAS

« C’est donc en tant que sophiste que nous allons le payer ? » — « Parfaitement. » — « Et si l’on te demandait en outre : « Et toi-même, Hippocrate, que veux-tu devenir en fréquentant Protagoras ? » — Il rougit (je m’en aperçus, car le jour commençait à luire), et il me dit : « Si le cas est semblable aux précédents, il est évident que c’est pour devenir sophiste. » — « Toi ! lui dis-je. Au nom des dieux, est-ce que tu n’aurais pas honte de te présenter devant la Grèce en qualité de sophiste ? » — « Oui, par Zeus, Socrate, s’il faut dire toute ma pensée. » — « Mais peut-être, Hippocrate, entends-tu autrement l’enseignement de Protagoras, et comme analogue à celui que tu as reçu du grammatiste, du cithariste ou du pédotribe ? Tu as étudié l’art de ces maîtres non pour en faire profession toi-même, mais en vue de ta culture, comme il convient à un profane et à un homme libre. » — C’est plutôt ainsi, dit-il, que m’apparaît l’enseignement donné par Protagoras. »


Qu’est‑ce qu’un sophiste ?

— « Sais-tu, repris-je, ce que tu vas faire ou l’ignores-tu ? » — « À quel sujet ? » — « J’entends, que tu es sur le point de confier le soin de ton âme à un homme qui est, dis-tu, un sophiste ; mais ce qu’est un sophiste, je serais étonné si tu le savais. Cependant, si tu l’ignores, tu ignores par cela même à qui tu confies ton âme, et si l’objet de ta confiance est bon ou mauvais. » — « Je crois le savoir, » dit-il. — « Eh bien, dis-moi quelle idée tu te fais d’un sophiste. »

— « Pour moi, dit-il, comme le nom l’indique, c’est un homme savant en choses savantes[1]. » — « Mais, repris-je, on peut dire aussi bien des peintres et des architectes qu’ils sont savants en choses savantes. Si l’on nous demandait en quelles espèces de choses savantes, les peintres sont savants, nous répondrions, j’imagine, que c’est dans l’exécution des images, et ainsi de suite. Mais si l’on nous demande en quelles espèces

  1. Il y a ici dans le texte grec une étymologie à la manière de celles qui remplissent le Cratyle : le mot sophiste (σοφ-ιστ-ής) est dérivé de l’adjectif σοφός (savant) et de la racine ιστ (savoir). Il est à noter, en tout cas, que le mot n’a par lui-même aucun sens péjoratif et désigne, en principe, quiconque pratique une forme quelconque de σοφία : Prométhée est appelé sophiste (Esch. Prom. 62).