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NOTICE

c’est une méthode de persuasion, non de démonstration, bonne pour créer l’illusion de la vraisemblance, non pour établir solidement la vérité. Elle n’exclut pas sans doute la rencontre accidentelle de la vérité, mais elle est incapable aussi bien d’y atteindre avec sûreté que de la justifier avec rigueur. Les assemblées et les tribunaux sont peut-être forcés de s’en contenter, mais elle ne saurait suffire à des hommes qui cherchent sérieusement la vérité, à ces amis de la véritable science que sont les philosophes.

Sur ce point, il est difficile de ne pas être de l’avis de Socrate. Quoi qu’on pense de la dialectique, il est certain que le discours suivi à la façon des orateurs n’est pas le procédé qui convient à la science pure. Aujourd’hui même, ni un géomètre ni un physicien ne procèdent par des exposés oratoires. Socrate a donc incontestablement raison de proclamer en principe la nécessité d’une marche plus attentive, plus minutieuse, plus lente. Mais, cela dit, ajoutons tout de suite que le discours de Protagoras est fort beau, que Platon lui a généreusement et loyalement prêté le plus persuasif des plaidoyers en faveur de sa thèse et que, quelle que soit la valeur de cette thèse (nous y reviendrons tout à l’heure), elle est admirablement défendue par le grand sophiste.

Reste enfin le commentaire des poètes. Ce que Socrate reproche à ce procédé, c’est qu’un texte écrit ne peut répondre à qui l’interroge ; il est muet, sans défense contre les interprétations arbitraires ; chacun est libre de l’entendre à sa façon ; l’écriture est inerte et morte. On trouve dans le Phèdre une opinion toute pareille sur l’impuissance de l’écriture comparée à la parole vivante. Dans le Protagoras, Socrate, non content d’exprimer cette condamnation, entreprend de la justifier par le commentaire qu’il donne lui-même du morceau de Simonide, commentaire qui contredit ouvertement l’interprétation commune. À vrai dire, le lecteur moderne aimerait mieux qu’un autre que Socrate eût entrepris cette démonstration ; car la nouvelle interprétation est si évidemment insoutenable et se fonde sur une double altération si manifeste de la liaison naturelle des mots que le jeu est par trop visible ; il n’y a là qu’un pur sophisme, et la thèse de Socrate en est moins fortifiée que compromise ; il serait trop aisé de lui répondre qu’aucune méthode ne peut se passer de bon sens et de bonne foi. On s’étonne que ses