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PROTAGORAS

du grand et du petit, tandis que l’art de mesurer réduirait à l’impuissance ces illusions et, par la connaissance de la vérité, assurant à nos âmes une stabilité tranquille dans la possession du vrai, ferait le salut de notre vie ? » Les hommes devraient-ils reconnaître que c’est l’art de mesurer qui nous sauve en tout cela, ou bien que c’en est un autre ? » — « C’est l’art de mesurer, » avoua Protagoras.

— « Et si notre salut dépendait du choix entre le pair et l’impair, si nous devions tenir compte du plus ou du moins, soit dans la comparaison d’un nombre avec lui-même soit dans les rapports entre plusieurs nombres, et en outre de la distance où nous serions placés, d’où nous viendrait le salut ? N’est-ce pas d’un savoir exact ? Et encore d’une certaine science de la mesure, puisque celle-ci est la science de l’excès et du manque ? Et puisqu’il s’agit du pair et de l’impair, ne serait-ce pas de l’arithmétique ? Les hommes nous l’accorderaient-ils, oui ou non ? » — Protagoras lui-même admit qu’ils nous l’accorderaient.

— « À merveille, ô hommes ! Mais puisque nous avons reconnu que la condition de notre salut résidait dans un choix correct du plaisir et de la douleur par l’appréciation exacte du plus nombreux et du plus rare, du plus grand et du plus petit, du plus éloigné et du plus rapproché, ne vous semble-t-il pas d’abord que cette recherche du plus ou du moins et de l’égalité est une sorte de mensuration ? » — « Évidemment. » — « Et que si c’est une mensuration, c’est évidemment un art et une science ? » — Ils l’accorderont. — « Quelle science et quel art, nous le verrons plus tard. Mais que ce soit une science, cela me suffit pour la démonstration que nous vous devons, Protagoras et moi, en réponse à vos questions.

« Vous nous demandiez[1], en effet, (vous vous en souvenez ?) au moment où nous reconnaissions d’un commun accord, Protagoras et moi, que rien n’est supérieur à la science et que toujours elle l’emporte, là où elle se rencontre, sur le plaisir et sur tout le reste ; — vous nous disiez que le plaisir triomphait souvent même de l’homme qui sait, et, comme nous refusions de vous l’accorder, vous nous demandiez :

  1. Conclusion (357 c‑e) de la discussion : nos fautes de conduite ne sont que le résultat d’une ignorance. Socrate tient le principe grâce auquel il va prouver, contre Protagoras (358 a-360 e), que le