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PROTAGORAS

bien, ne le fait pas, à cause du plaisir immédiat qui est plus fort que lui. L’absurdité de ce langage apparaît avec évidence, lorsqu’au lieu d’employer tant de mots, l’agréable, le pénible, le bon et le mauvais, on se contente, ayant constaté qu’il n’y a que deux choses, de n’employer aussi que deux mots, d’abord le bon et le mauvais, ensuite l’agréable et le pénible[1].

« Cela posé, disons que l’homme, sachant que le mal est mal, le fait tout de même. Si l’on nous demande alors « Pourquoi ? » nous répondrons : « Parce qu’il a été vaincu ». — « Par quelle force ? » nous demandera-t-on ; mais nous ne pourrons plus dire « par le plaisir » ; car ce mot « le plaisir », a fait place au mot « le bien ». Il nous faudra répondre en disant qu’il a été vaincu… « Par quoi ? » demandera-t-on. « Par le bien, » dirons-nous forcément. Alors, si notre interlocuteur est d’humeur railleuse, il se moquera de nous et nous dira : « Voilà qui est plaisant ! il fait le mal sachant que c’est mal et qu’il ne devrait pas le faire, parce qu’il est vaincu par le bien ! Est-ce que le bien en question ne méritait pas, pour vous, de l’emporter sur le mal, ou bien le méritait-il ? » Nous répondrons évidemment qu’il ne le méritait pas : sans cela, celui que nous disons avoir été vaincu par le plaisir n’eût pas commis de faute[2]. « En quoi, dira sans doute notre interlocuteur, peut consister une infériorité du bien par rapport au mal ou du mal par rapport au bien ? Ne résulte-t-elle pas d’une différence ou de grandeur ou de quantité ? » Impossible de répondre autrement, « Il est clair alors, dira notre homme, que ce que vous appelez être vaincu, c’est choisir, au lieu d’un bien plus petit, un mal plus grand ? » Voilà un point acquis.

« Reprenons maintenant les mots « agréable » et « pénible » pour les appliquer aux mêmes cas, et disons que l’homme accomplit ce que nous appelions tout à l’heure le mauvais et ce que nous appellerons maintenant le pénible, en sachant que c’est pénible, parce qu’il cède à la force du plaisir, alors

  1. Il résulte en effet de ce qui précède que le bon est identique à l’agréable et le mauvais au pénible.
  2. En effet, plaisir et bien se confondant, celui qui a été vaincu par le plaisir, c’est-à-dire par le bien, n’est en faute que si ce bien ne méritait pas de l’emporter.