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PROTAGORAS

« De cette façon, selon moi, l’insertion du « sans doute » et la place de « véritablement » à la fin, s’expliquent logiquement. Toute la suite, d’ailleurs, confirme la justesse de cette interprétation. On peut, en effet, pour chacun des détails du poème, démontrer amplement son excellence : c’est une œuvre charmante et très soignée. Mais il serait trop long de l’analyser ainsi ; bornons-nous donc à en considérer l’ensemble et l’intention générale, qui est essentiellement de réfuter d’un bout à l’autre la parole de Pittacos.

« Un peu plus loin, en effet, Simonide exprime des idées qui pourraient en prose se traduire ainsi[1] : il est vraiment difficile, sans doute, de devenir honnête homme, il est possible cependant de le devenir pour quelque temps ; mais ensuite persister en cet état et être, comme tu le veux, Pittacos, un honnête homme, c’est impossible et surhumain, et c’est uniquement le privilège d’un dieu :

Mais pour l’homme il n’est pas possible de n’être pas mauvais
Quand un accident sans ressource le paralyse.

« Quel est l’homme qu’un accident sans ressource paralyse au début d’une navigation ? Ce n’est sûrement pas le profane ; celui-là est toujours paralysé. L’homme qu’on renverse, ce n’est pas celui qui gît à terre : il faut être debout pour se voir renverser et devenir gisant. De même, c’est l’homme capable de ressource qu’un accident sans ressource paralyse, mais non celui qui n’a jamais de ressource en lui-même : un pilote peut être rendu impuissant par une violente tempête, un laboureur être désarmé par une mauvaise saison, un médecin par quelque circonstance analogue. Un brave aussi peut devenir lâche, comme l’a dit un autre poète[2] :

Le brave se montre tantôt lâche et tantôt brave ;

« Mais un lâche ne peut devenir lâche ; il l’est nécessairement toujours. De sorte que l’homme de ressource, l’homme

  1. Ou, en admettant l’interprétation indiquée p. 58, n. 1 : « (J’ai tort de suivre Pittacos. Il a dit : La perfection est difficile. En réalité) elle est le privilège… etc. »
  2. Inconnu. — Voir la thèse contraire dans Eur. Hécube 592 sqq.