Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
343 b
63
PROTAGORAS

de leur sagesse, et qu’ils lui consacrèrent les inscriptions que tout le monde répète, « Connais-toi toi-même » et « Rien de trop ».

« Pourquoi dis-je ces choses ? Parce que tel était réellement le caractère de l’antique science : une brièveté laconique ; et que Pittacos en particulier était l’auteur d’un mot souvent répété dans le privé et que célébraient les sages : « Il est difficile d’être bon ». Simonide alors, ambitieux de briller par la sagesse, comprit que s’il parvenait à détruire cette maxime comme on triomphe d’un athlète célèbre, il y gagnerait lui-même une grande célébrité parmi les hommes. C’est contre elle que, pour acquérir cette gloire, à ce qu’il me semble, il a, dans le dessein de la renverser, composé tout son poème. Mais examinons-le tous ensemble, pour vérifier si j’ai raison.

« Dès le début du poème, ne serait-ce pas folie évidente, s’il voulait vraiment dire qu’il est difficile de devenir honnête homme, d’introduire les mots « sans doute[1] » ? Cette insertion n’aurait aucun sens si l’on n’admettait pas que Simonide dispute en quelque sorte contre Pittacos et que, celui-ci affirmant qu’il est difficile d’être honnête homme, Simonide réplique : « Non, mais il est difficile sans doute de devenir honnête homme, véritablement », et le mot « véritablement » ne se rapporte pas à « honnête » : en parlant de la vérité, il ne songe pas à l’honnêteté il ne veut pas dire que parmi les honnêtes gens, les uns le sont véritablement et les autres, non ; ce qui serait une absurdité indigne de Simonide : il faut admettre ici une transposition du mot véritablement et laisser entendre d’avance le mot de Pittacos, en supposant une sorte de dialogue entre Pittacos et Simonide où Pittacos dirait : « Ô hommes, il est difficile d’être bon », et où Simonide répondrait : « Tu ne dis pas la vérité, Pittacos ; devenir sans doute, mais non pas être, un honnête homme, carré des mains, des pieds et de l’esprit, ouvré sans défaut, voilà ce qui est véritablement difficile. »

  1. Ce sans doute fait bien attendre une contre-partie, mais qui n’est pas nécessairement la réponse à Pittacos. Quant au mot véritablement, il ne peut porter que sur honnête homme. Voir, à ce sujet, la Notice, p. 11 et dans Xénophon (Mém. I, 2, 56) la critique adressée à Socrate par Polycratès.