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PROTAGORAS

« C’est de la même façon que je t’invoque, moi aussi, pour empêcher Protagoras de renverser notre Simonide. Car il est bien évident que, pour remettre debout Simonide, ce ne sera pas trop de toute ta finesse d’oreille, qui t’enseigne la distinction entre « vouloir » et « désirer », et tant d’autres belles choses que tu viens de nous offrir. Dans le cas présent, vois si tu es de mon avis : je ne crois pas que Simonide se contredise. Mais donne-nous d’abord ton opinion. « Devenir » et « être » ont-ils le même sens, ou un sens différent ? » — « Un sens différent, » répondit Prodicos.

— « Ainsi, repris-je, dans le premier passage, Simonide, exprimant sa propre pensée, dit qu’il est difficile de devenir vraiment un honnête homme ?» — « Tu as raison, » dit Prodicos. — « Et quant à Pittacos, il le blâme non pas, comme le croit Protagoras, pour avoir dit la même chose que lui, mais pour avoir dit autre chose. Car ce que Pittacos déclare être difficile, ce n’est pas de « devenir » bon, mais de l’« être ». Or, Protagoras, « être » et « devenir », selon Prodicos ici présent, sont choses différentes ; et si « être » n’est pas la même chose que « devenir », Simonide est exempt de contradiction. Peut-être d’ailleurs Prodicos et bien d’autres encore seraient-ils prêts à dire que, suivant Hésiode, il est difficile de devenir honnête homme, et « que les dieux en effet ont mis devant la vertu la sueur ; mais que pour qui en a gravi la cime, elle est ensuite facile à garder, malgré la peine qu’elle donne. »

Prodicos approuva mes paroles. Mais Protagoras reprit : « Ta correction, Socrate, ajoute une nouvelle erreur à ce que tu veux corriger. » — « Alors, lui dis-je, j’ai vraiment bien travaillé, Protagoras, et je suis un étrange médecin : j’aggrave la maladie que je veux guérir ! » — « C’est pourtant ainsi, » dit-il. — « Comment cela ? » — « Le poète, dit-il, serait un grand ignorant, s’il croyait la vertu si facile à garder, alors que c’est la chose du monde la plus difficile, du consentement de tous. »

    moins Pittacos qu’il ne se reprendrait lui-même d’avoir d’abord accepté sans réserves sa maxime. S’il la critique, c’est d’ailleurs, on le verra (344 e), pour l’aggraver ; il ne faut donc pas se laisser égarer par le texte d’Hésiode (Œuvres et Jours, 287 sqq.) que Socrate cite (340 d) à l’appui de sa distinction entre devenir et être bon.