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ALCIBIADE

instincts les plus profonds, par son ambition démesurée ; et c’est en lui promettant de l’aider à les satisfaire qu’il le rend attentif à ce qu’il veut lui dire.

II. Une première scène, où son ironie légère a beau jeu, sert à convaincre le jeune homme de son ignorance absolue dans toutes les questions plus ou moins techniques dont une assemblée délibérante doit souvent s’occuper. Obligé d’en convenir, Alcibiade se rejette sur les sujets généraux, tels la guerre et la paix.

Mais ce genre de délibérations, d’après Socrate, relève de la distinction du juste et de l’injuste. Alcibiade l’admet d’abord. Or, en l’interrogeant, Socrate l’amène à confesser qu’il n’a jamais appris d’aucun maître ce qu’est le juste et qu’il n’a jamais cherché non plus à le découvrir par lui-même, ayant cru de tout temps qu’il le savait. Un faux-fuyant lui reste : il allègue qu’il l’a appris de tout le monde, comme il a appris le grec. Mais, pour que cette allégation fût recevable, il faudrait que la connaissance du juste fût générale en Grèce, comme celle du grec. Comment l’admettre, lorsque l’on constate qu’il n’est rien sur quoi les Grecs s’accordent moins entre eux ? On ne se dispute pas sur les choses que l’on sait. À cela Alcibiade se sent incapable de répondre et la première démonstration se termine ainsi.

Que vaut-elle pour nous ? Elle se fonde, comme on le voit, sur l’idée socratique qu’il y a une science du juste qui s’apprend comme les sciences en général. Elle vaut, par suite, ce que vaut cette idée elle-même ; ce qui revient à dire qu’elle ne correspond qu’imparfaitement à la réalité. En l’adoptant comme une sorte d’axiome, Platon, après Socrate, méconnaît, à nos yeux, la véritable loi du développement de la raison et de la conscience. Plus tard, il sera conduit à reconnaître qu’il existe en nous une faculté naturelle de former certaines idées directrices, telles que l’idée du juste ; ce qui n’exclut pas, bien entendu, l’utilité de l’éducation. Il est vrai qu’il expliquera ce fait d’une façon toute mystique par la conception d’une vie antérieure, au lieu de l’attribuer simplement à une spontanéité créatrice provenant du fait de l’hérédité. Il n’en aura pas moins corrigé la doctrine de Socrate. Au temps de l’Alcibiade, il n’en est pas encore là.