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EUTHYPHRON

coupable ne doit pas être puni ; s’il y a discussion entre eux, c’est pour décider qui est le coupable, ce qu’il a fait et à quel moment[1].

Euthyphron. — C’est la vérité.

Socrate. — Eh bien, il en est de même des dieux, si vraiment ils se querellent à propos du juste et de l’injuste, comme tu le dis ; les uns prétendent que les autres leur font du tort, ceux-là le nient. Car, vois-tu, savant ami, il n’est personne, ni dieu ni homme, qui ose e soutenir que l’injustice ne doit pas être punie.

Euthyphron. — En effet, ce que tu dis là est vrai, Socrate, du moins en gros.

Socrate. — C’est donc sur chaque fait en particulier que l’on discute lorsqu’on discute, hommes ou dieux, si vraiment les dieux aussi discutent. On diffère d’opinion sur un acte, les uns soutiennent qu’il est juste, les autres qu’il est injuste. N’en est-il pas ainsi ?

Euthyphron. — Parfaitement.

Socrate. — Alors, mon cher Euthyphron, enseigne-moi donc, 9 à moi aussi, pour mon instruction, quelle raison te fait croire que tous les dieux regardent comme injuste la mort de ton homme, un mercenaire qui avait commis un meurtre, et qui, chargé de liens par le maître de la victime, a succombé parce qu’il était lié, avant que celui qui l’avait lié eût pu savoir des exégètes ce qu’il devait faire de lui. Fais-moi voir que pour un tel homme il est bien à un fils de poursuivre son père, de lui intenter une action capitale. Voyons, essaye de me prouver ceci clairement, que, sans nul doute, tous les dieux s’accordent b à considérer cet acte comme juste. Si tu m’en donnes une preuve concluante, je ne cesserai jamais de vanter ta science.

Euthyphron. — Te le prouver, Socrate, ce n’est peut-être pas l’affaire d’un instant ; pourtant, je serais parfaitement en état de le prouver clairement.

Socrate. — Je comprends. Je te parais avoir la tête plus dure que les juges ; car à eux, évidemment, tu comptes bien

  1. Platon ne tient pas compte du cas, pourtant fréquent, où un accusé, tout en se reconnaissant coupable, cherche à se disculper en invoquant des circonstances atténuantes. Il lui suffit de considérer ce qui arrive le plus souvent.