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LETTRE VII.

On n’aurait pu l’entreprendre sans des amis fidèles et des compagnons dévoués ; et il n’était pas aisé d’en découvrir, s’il y en avait, car nous ne vivions plus suivant les institutions et les mœurs de nos pères ; d’un autre côté on ne pouvait en former de nouveaux qu’avec les plus grandes difficultés. Les lois et les coutumes étaient corrompues et tombées dans le dernier mépris ; de sorte que moi, [325e] naguère si plein de zèle et d’ardeur pour l’intérêt public, devant le spectacle de ce profond et universel désordre, je me sentis saisi de vertige. Cependant je ne cessai pas d’observer l’état des choses [326a] et la politique en général, en attendant que quelque heureux changement me donnât l’occasion d’agir. Mais je finis par me convaincre que tous les états de notre temps sont mal gouvernés, et que leurs lois sont tellement vicieuses qu’elles ne subsistent que par une sorte de prodige. Je tirai alors cette conséquence honorable pour la vraie, philosophie, qu’elle seule peut tracer les limites du juste et de l’injuste, soit par rapport aux particuliers, soit par rapport aux gouvernements, et qu’on ne peut [326b] espérer de voir la fin des misères humaines avant que les vrais philosophes n’arrivent à la tête des gouvernements ou que, par une providence toute divine, ceux qui ont le pouvoir dans les États ne deviennent eux-mêmes philosophes.

C’est avec ces idées que je fis mon premier voyage en Italie et en Sicile. À mon arrivée, je vis, mais avec dégoût, la vie prétendue heureuse qu’on y mène, les tables de Sicile et de Syracuse, l’habitude de se rassasier deux fois le jour, de ne jamais passer les nuits seul [326c] et de se livrer à tous les plaisirs de la même espèce. Est-il possible qu’un seul des hommes qui habitent ce monde, eût-il les plus heureuses dispositions, si on l’élève dès son enfance dans des mœurs si corrompues, devienne