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qu’elles font guérissent difficilement, et l’ennemi qu’elles ont blessé, l’amour-propre, ne pardonne jamais. Au reste, la causticité de Duclos n’étoit pas cette moquerie, à la fois légère et cruelle, d’un homme qui s’amuse et veut amuser les autres des travers qu’il a saisis : c’étoit presque toujours l’expression soudaine et énergique de l’indignation qu’excitoient en lui le vice et la bassesse. Quelques traits en feront mieux juger que toutes les définitions. Il disoit d’un homme enrichi par les plus vils moyens et endurci aux affronts : On lui crache au visage, on le lui essuie avec le pied, et il remercie. L’abbé d’Olivet avoit auprès d’un grand nombre de ses confrères la réputation d’être fourbe et perfide : Duclos qui avoit de lui cette opinion, ne laissoit échapper aucune occasion de le maltraiter ; et l’abbé, avec la fausse résignation des gens de ce caractère, ne répondoit rien à ses outrages : C’est un si grand coquin, disoit Duclos, que, malgré les duretés dont je l’accable, il ne me hait pas plus qu’un autre. L’abbé de Voisenon avoit composé des couplets en l’honneur de madame du Barri et du chancelier Maupeou, qui avoient fait exiler M. de Choiseul, son bienfaiteur. L’académie françoise, dont il étoit membre, délibéroit si elle ne lui feroit pas des reproches d’une conduite aussi peu délicate : Eh ! messieurs, dit Duclos, pourquoi voulez vous tourmenter ce pauvre infâme ? Il connoissoit depuis long-temps l’abbé de Voisenon, et voyoit dans son tort moins un vice de cœur qu’un défaut de caractère : de là ce mélange de mépris et d’indulgence pour lui[1]. Rien n’a été plus souvent cité que son mot sur les hommes puissang qui n’aiment pas les gens de lettres : Ils nous craignent comme les voleurs craignent les réverbères ; et cet autre : Un tel est un sot ; c’est moi qui le dis, c’est lui qui le prouve ; mais, comme ils sembleroient manquer à une notice où l’on a eu dessein de faire connoître à fond le genre de caractère et d’esprit que Duclos portoit dans la société, nous n’avons pas cru devoir les omettre. Le même motif

  1. Lorsque l’abbé de Voisenon fut nommé plénipotentiaire de l’évêque de Spire, Duclos lui dit : Je vous félicite, mon cher confrère ; vous allez enfin avoir un caractère. Nous ne voulons pas faire honneur à l’esprit de Duclos d’un jeu de mots médiocre ; mais seulement faire connoître d’autant plus son opinion sur l’abbé de Voisenon, le plus léger et le plus inconséquent des hommes.