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pratiques du côté de la reconnoissance, et il en coûte moins pour les remplir par sentiment que par devoir.

Il n’est pas difficile de connoître quels sont ces devoirs ; les occasions les indiquent, on ne s’y trompe guère, et l’on n’est jamais mieux jugé que par soi-même ; mais il y a des circonstances délicates où l’on doit être d’autant plus attentif, qu’on pourroit manquer à l’honneur en croyant satisfaire à la justice. C’est lorsqu’un bienfaiteur, abusant des services qu’il a rendus, s’érige en tyran, et, par l’orgueil et l’injustice de ses procédés, va jusqu’à perdre ses droits. Quels sont alors les devoirs de l’obligé ? Les mêmes.

J’avoue que ce jugement est dur ; mais je n’en suis pas moins persuadé que le bienfaiteur peut perdre ses droits, sans que l’obligé soit affranchi de ses devoirs, quoiqu’il soit libre de ses sentimens. Je comprends qu’il n’aura plus d’attachement de cœur, et qu’il passera peut-être jusqu’à la haine ; mais il n’en sera pas moins assujéti aux obligations qu’il a contractées.

Un homme humilié par son bienfaiteur est bien plus à plaindre qu’un bienfaiteur qui ne trouve que des ingrats. L’ingratitude afflige plus les cœurs généreux qu’elle ne les ulcère ; ils ressentent plus de compassion que de haine : le sentiment de leur supériorité les console.