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voyoient, sans beaucoup de chagrin, que l’on tombât sur leur livrée, dont ils n’osoient eux-mêmes réprimer les écarts, de peur de refroidir en même temps son zèle. Mais si Duclos n’avoit pas eu pour les maîtres les ménagemens qu’on doit à des hommes d’un mérite distingué, dont on a été l’ami, ceux-ci n’auroient pas manqué de s’en venger, et de le traiter en transfuge, c’est-à-dire avec mille fois plus d’animosité que s’il eût toujours été du parti contraire : or, nous ne voyons pas qu’aucun d’eux se soit permis sur son compte la moindre parole désobligeante.

Duclos a dit : Je laisserai une mémoire chère aux gens de lettres. Il ne s’est point trompé : les gens de lettres lui ont une grande obligation, celle d’avoir soutenu, dans toutes les occasions, la dignité de leur titre. On n’a point oublié avec quelle fermeté et quelle adresse à la fois il défendit les droits de l’égalité académique contre les prétentions ridicules que de sots complaisans avoient suggérées à M. le comte de Clermont, lors de son admission à l’académie francoise[1]. On se rappelle aussi avec quelle force et quel succès il combattit, en semblable occasion, les prétentions plus ridicules encore du maréchal de Belle-Isle qui vouloit être dispensé de faire en personne les visites que les candidats sont dans l’usage de faire aux académiciens. Ce ne sont pas les tyrans qui font les esclaves, dit-il à ce sujet ; ce sont les esclaves qui font les tyrans. Il se présente ici un problème anecdotique qui n’est pas sans difficulté, ni peut-être sans quelqu’intérêt. Collé, dans son Journal historique, prétend que ce fut à cette élection de M. de Belle-Isle, que Duclos, prévoyant quelque noirceur de la part de ceux dont il avoit combattu la lâcheté, eut la précaution de garder sa boule noire, et lorsque la vérification du scrutin vint à offrir une de ces boules injurieuses, jeta la sienne sur la table, en disant qu’il avoit oublié d’en faire usage, et repoussa ainsi, à la confusion de ses ennemis, le soupçon qu’ils avoient voulu attirer sur lui, comme seul opposant à l’élection du maréchal[2]. Marmontel, dans ses Mémoires,

  1. La continuation de l’Histoire de l’académie françoise, faite par Duclos, et imprimée dans le neuvième volume de cette collection, contient tous les détails de l’affaire, et les deux Mémoires qu’il fut obligé de rédiger.
  2. Pour répandre toute la clarté possible sur ce récit, nous