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tit peut-être plus d’une fois de n’avoir pas écouté davantage ce qu’il appeloit sa sage sévérité. L’Émile étoit sous presse : Duclos en parla à Rousseau. « Je lui lus, dit celui-ci, la Profession de foi du vicaire Savoyard ; il l’écouta très-paisiblement, et, ce me semble, avec grand plaisir. Il me dit, quand j’eus fini : Quoi ! citoyen, cela fait partie d’un livre qu’on imprime à Paris ? Oui, lui dis-je, et l’on devrait l’imprimer au Louvre par ordre du roi. J’en conviens, me dit-il ; mais faites-moi le plaisir de ne dire à personne que vous m’avez lu ce morceau[1] ». Duclos eut la sollicitude et la sincérité d’un ami en avertissant J.-J. des malheurs qu’il alloit s’attirer ; il fut sage en ne voulant pas partager un danger qu’il ne dépendoit pas de lui d’écarter ; il fut généreux en restant constamment attaché à un homme que les mieux intentionnés repoussèrent bientôt comme un fou dangereux. Cette constance d’amitié étonne bien moins de la part de Duclos que de celle de J.-J. De tous les hommes de lettres avec qui celui-ci s’étoit lié, Duclos fut le seul pour qui sa tendresse ne se changea point en haine. Ce n’est pas la seule exception dont il l’ait honoré : il lui fit sa première et unique dédicace[2], celle du Devin du village. Duclos y avoit droit à plus d’un titre : il étoit parvenu, à force de démarches, à faire jouer cet opéra, et la chaleur qu’il avoit mise à défendre les intérêts de l’auteur, lui avoit presque attiré une affaire d’honneur avec Cury, l’intendant des menus.

La franchise est l’expression de la droiture ; elle dégénère quelquefois en brusquerie et même en rudesse, lorsqu’un homme ayant naturellement l’humeur prompte et un sentiment vif de l’injuste et du ridicule, n’a pas travaillé ou n’a pas réussi à réprimer l’une et à émousser l’autre. Tel étoit Duclos : « Il m’est impossible, a-t-il dit lui-même, de cacher mes sentimens, les mouvemens de mon âme. Je l’ai essayé, non pour tromper, mais pour me garantir des pièges.

  1. Confessions, liv. XI, pag. 289, même édition.
  2. J.-J. s’est servi en effet de ces termes : Ma première et unique dédicace. Il en fit pourtant une seconde, celle du Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, qu’il adressa à la république de Genève ; mais il demanda à Duclos son consentement pour cette seconde dédicace. « Duclos, dit-il, a dû se tenir encore plus honoré de cette exception que si je n’en vois fait aucune. (Confessions, liv. VIII, pag. 248) ».