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me député aux états, resserroient de plus en plus les liens de cette amitié. Le duc d’Aiguillon fut nommé commandant en chef pour le roi dans la province de Bretagne. Dès son arrivée, il conçut pour M. de La Chalotais, alors procureur général du parlement de Rennes, une haine des plus violentes. Les causes en sont si misérables qu’on refuseroit de les croire si nous les rapportions. Une circonstance bien connue vint mettre le comble à cette inimitié. En 1750, les Anglois firent une descente sur les côtes de Bretagne ; la noblesse du pays les repoussa avec un courage qui lui fit beaucoup d’honneur. Le duc d’Aiguillon se tint, dit-on, renfermé dans un moulin pendant l’action, et nombre de gens prétendent que M. de La Chalotais dit à ce sujet : Notre commandant s’est plus couvert de farine que de gloire. Le propos, vrai ou faux, fut rapporté, et M. d’Aiguillon n’attendit plus que l’occasion de se venger. Elle se présenta, ou plutôt l’homme offensé et puissant la fit naître. Les détails de cette malheureuse affaire sont à la connoissance de tout le monde ; et d’ailleurs ils ne sont point de notre sujet : nous n’en rappellerons que ce qui a directement rapport à Duclos. M. de La Chalotais fut exilé à Saintes. M. le duc de Duras qui avoit remplacé M. d’Aiguillon dans le commandement de la Bretagne, et qui portait à M. de La Chalotais un intérêt où il entroit peut-être un peu de haine et de mépris pour son prédécesseur, fut chargé par la cour de faire tout ce qui seroit en son pouvoir pour appaiser la querelle. Il engagea donc Duclos à se rendre auprès du magistrat exilé, afin d’obtenir de lui qu’il sacrifiât certains Mémoires dont on savoit qu’il étoit occupé. M. de Duras fit les frais de ce voyage, que Duclos, qui connoissoit le courage opiniâtre de son ami, entreprit sans espoir de réussir dans sa négociation, et peut-être avec le secret désir d’y échouer. Il trouva M. de La Chalotais inébranlable comme il s’y étoit attendu, et bientôt après il revint à Paris[1]. Cependant la persécution s’accrut : la perte

  1. C’est à tort que M. de La Harpe dit dans son Cours de littérature, tom. XV, pag. 273 et 274, que Duclos fut envoyé en Bretagne par le gouvernement, pour tempérer les fougues tout au moins indiscrètes de ce pétulant parlementaire (M. de La Chalotais), et ouvrir la voie à l’indulgence que l’on voulait avoir pour lui. Ce n’est point par l’ordre du gouvernement, mais d’après l’invitation particulière de M. de Duras que Duclos fit ce voya-