Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
HOMÈRE.

terrestre mélange, le dieu qu’Homère portait en lui. L’inspiration n’est pas un vain mot, et le génie a vraiment ses trouvailles : on le sent surtout quand on pense aux femmes d’Homère.


Naïveté de la poésie d’Homère.


Les poëtes dramatiques fouillaient l’Iliade et l’Odyssée dans tous les sens ; et ils ont tiré de cette mine féconde d’incalculables trésors. Qui pourrait dire toutes les tragédies dont Homère avait fourni et le sujet et les héros ? La muse comique elle-même a dû à Homère plus d’un de ses triomphes. Le Cyclope d’Euripide en est une preuve encore parlante ; et il est certain que ce n’est pas là le seul drame satirique ou la seule bouffonnerie dont Homère ait fait les frais. Les aventures d’Ulysse déguisé en mendiant, et sa lutte à coups de poing avec Irus, étaient dignes de la gravité des émules d’Aristophane. Thersite n’était pas non plus un héros a dédaigner pour eux, et sa franchise insolente pouvait adresser aux spectateurs quelques-unes de ces bonnes vérités qui sont le meilleur sel de la vieille Comédie. Cet étrange personnage, dont le nom désigne encore aujourd’hui l’impudence, est un des types les plus curieux de l’Iliade. Homère l’a peint de main de maître : « Le seul Thersite, bavard sans mesure, braillait comme un geai. C’était un homme habile à débiter toute sorte d’injures, déblatérant contre les rois à l’étourdie et sans vergogne, uniquement soucieux de faire rire les Argiens. D’ailleurs, le plus laid de tous ceux qui étaient venus sous Ilion. Il était louche, boiteux d’un pied ; il avait les épaules voûtées et ramassées sur la poitrine, la tête pointue au sommet, et sur sa tête voltigeaient quelques rares cheveux[1]. »

La Muse de l’épopée antique n’est pas cette prude que quelques-uns se figurent, froide, compassée, perpétuellement drapée dans le manteau des bienséances. Elle dit la nature humaine. Comme l’œuvre de Dieu, elle revêt tour à tour, et sans nul effort, les plus opposés caractères. Ma-

  1. Iliade, chant II, vers 212 et suivants.