Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/570

Cette page a été validée par deux contributeurs.
558
CHAPITRE XLVIII.

entendit Ammonius, et il s’écria : « Voilà ce que je cherchais ! » Il fut pendant plusieurs années le plus assidu de ses auditeurs. À l’âge de trente-neuf ans, il suivit en Perse l’armée de l’empereur Gordien, afin d’étudier sur les lieux mêmes les mystères de la sagesse orientale. Il échappa à grand’peine au désastre de l’expédition. Après l’avénement de Philippe, il vint se fixer à Rome, où il enseigna longtemps avec un grand éclat. Il mourut dans la Campanie, vers l’an 270, aussi estimé pour ses vertus qu’admiré pour la puissance et la fécondité de son génie. Plotin laissait un nombre d’écrits considérable. Porphyre son disciple les recueillit, les mit en ordre, et les disposa en six parties, divisées chacune en neuf livres, comme l’indique le nom d’Ennéades, c’est-à-dire de neuvaines, qu’il donna aux grandes divisions du recueil.

Les traités de Plotin ne sont point des chefs-d’œuvre littéraires. Le philosophe, tout entier à la pensée, s’est médiocrement préoccupé de la forme. Il manque d’ordre dans la composition ; il n’a pas cette marche ferme et soutenue sans laquelle on n’est écrivain qu’à demi. Rien de plus inégal et de plus mêlé que les produits de cet esprit extraordinaire. Tantôt ce sont des abstractions sèches et subtiles, tantôt une sorte de poésie enthousiaste : ici, un style obscur, pénible, tout hérissé de formules ; là, des pages brillantes, animées, pleines de mouvement et de vie. C’est un torrent d’eau trouble, qui roule des sables d’or. Plotin n’est pas même un écrivain bien correct ; et Porphyre, qui passe pour avoir retouché ses ouvrages, sembla s’être attaché à conserver à la diction son caractère d’âpre et rude originalité.

Jusqu’à quel point Plotin a-t-il reproduit l’enseignement d’Ammonius ? n’a-t-il été que l’interprète fidèle de la pensée du maître, ou bien faut-il voir en lui le Platon d’une doctrine dont Ammonius n’aurait été que le Socrate ? Ces questions, que quelques-uns se sont posées, le savant auteur de l’Histoire critique de l’École d’Alexandrie les déclare insolubles : « Mais quand les livres de Plotin n’auraient fait, dit M. Vacherot, que commenter l’enseignement d’Ammonius, ce commentaire plein de génie n’en serait pas moins le premier, le