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souvenirs d’amérique et de grèce.

ces Indiens du Canada demi-civilisés, qui ont renoncé à la guerre, baragouinent un peu d’anglais ou de français, vivent tranquilles dans leurs villages et du passé n’ont gardé que la passion des grandes chasses et des nuits dans les bois.

Associés comme jadis, aux temps héroïques, l’homme blanc et l’homme rouge s’enfoncent dans la forêt. Emmitouflés chaudement, leur visage seul reçoit le contact de l’air. Ils portent le fusil sur l’épaule et sur le dos tout ce que nécessite le campement. Ils aiment le craquement de leurs snow shoes sur la neige qui s’envole autour d’eux en écume argentée : ils aiment le craquement des branches d’arbres répercutés par les échos de cristal ; ils aiment ces splendeurs hivernales qui les consolent des fatigues volontaires, ces mauvais repas autour d’un grand feu et ces nuits étranges sur le sol hâtivement déblayé et, quand une tourmente les surprend, que la brise chasse de tous côtés les flocons épais, je crois, ma parole ! que la joie d’être là et de défier les éléments les empêche de sentir la morsure du froid.

Et puis, le caribou finit par se montrer. La silhouette élégante de l’animal se détache enfin sur la colline. Il renifle, il écoute, les jarrets tendus La brise lui a donné quelque avertissement et il flaire le danger. Soudain il bondit en avant et s’enfuit d’un galop allongé, gracieux. Si le chasseur a la main ferme et le regard impassible, le caribou tombera et la neige autour de lui se teindra de rouge

La journée a été bonne, le carnet de chasse s’est enrichi de nouveaux exploits ; l’homme regarde gaî-