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souvenirs d’amérique et de grèce.

vapeur vaincue et humiliée. Cela se renouvela si fréquemment que les mécaniciens n’acceptèrent plus la lutte et n’essayèrent plus de contester, à ce singulier moyen de transport, sa vitesse sans égale.

Le ice yacht mériterait tout aussi justement le nom de « patin à voile ». Il est formé de deux traverses de bois posées en croix : aux extrémités de la pièce transversale, deux lames de métal mordent la glace : à l’extrémité postérieure de l’autre pièce, une troisième lame, qui s’incline à volonté, sert de gouvernail. Près de l’intersection des deux pièces s’élève le mât portant la voilure très tendue. Les passagers n’ont pas la place de se promener. Ils s’arriment de leur mieux au mât, et, sous l’impulsion du vent, l’ice yacht se met en mouvement. Les patins crient, les cordages grincent : une fine poussière neigeuse s’élève autour du yacht dont la marche s’accélère jusqu’à devenir une course folle, invraisemblable : il exécute bientôt des zigzags coupés de bonds fantastiques. Les hommes qui le montent ont pris soin, sous les vêtements qui les transforment en pelotes de laine, de se couvrir de soie ou de peau de chamois : sans cette précaution le froid, quintuplé par la vitesse, les terrasserait. La sensation est cuisante et non éphémère comme dans le toboganning. Cela dure des heures, cette promenade sur la plaine glacée. On prend le vent, on court des bordées, on vire comme en pleine mer. Il faut faire son possible pour maintenir le yacht en contact avec la glace : car lorsque le vent le soulève, il ôte par là même à ceux qui le conduisent toute action sur le gouvernail. C’est un sport bizarre, plein d’émotions,