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souvenirs d’amérique et de grèce.

Tout au sommet des montagnes Rocheuses, le train est arrêté. On ne dirait pas un sommet, mais quelque plaine stérile, quelque haut plateau balayé par des souffles froids. Une poussière rouge saupoudre les pauvres plantes à la mine pitoyable que le sort a fait naître là, et sur le bleu cru et glacial de l’atmosphère la teinte rouge du paysage est désagréablement impressionnante. Dans cette solitude un monument s’élève qui a tous les aspects d’un tombeau ; mais c’est un trophée de victoire. Cette pyramide consacre le triomphe des deux grands ingénieurs qui ont relié les bouts du ruban d’acier et mis San Francisco à cinq jours de New-York. Il n’y avait pas besoin d’inscrire là le détail de leurs souffrances et l’étendue de leur courage : le voyageur qui atteint ce lieu devine aisément ce qu’il en a coûté de douleur humaine et d’énergie sans défaillance pour lui procurer la traversée confortable du monstrueux continent. Il ramasse respectueusement un morceau de cette pierre sanguinolente et l’emporte avec lui.

Le train se remet en marche, et c’est maintenant une plaine épouvantable, toute semée de pyramides pareilles, mais naturelles, celles-là, trop grandes pour être taillées par la main des hommes ; elles se découvrent les unes après les autres, surgissant d’un océan de sable jaune ; elles sont rouges, entaillées de rides profondes qui leur font des ombres d’un violet intense ; leurs triangles maudits semblent écraser le