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souvenirs d’amérique et de grèce.

sur ce point, son jugement. À le regarder on devinait la simplicité de sa foi et la force de sa certitude : la foi d’un primitif, et la certitude d’un voyant.

Je me rappelai alors certain pavillon édifié dans l’enceinte colombienne, par les autorités d’un territoire du nord-ouest non encore admis au rang d’État, mal peuplé et peu cultivé : on y avait exposé les produits du sol, des grains de blé et des blocs de quartz avec quelques douzaines de mocassins confectionnés par les misérables descendants des tribus indiennes. Au centre, dans un cadre resplendissant, trônait une toile immense, œuvre d’un artiste natif : ni art, ni réalité, ni perspective, ni coloris ; ce paysage était une abominable croûte. Dans la salle qui le contenait une dame d’âge mûr, l’air distingué, élégamment vêtue, faisait les cent pas. Chaque fois que je venais dans cette partie de l’exposition, j’entrais dans le pavillon pour voir si la dame était là montant sa garde volontaire. Elle y était et je l’entendais, de sa voix douce et discrète, dire aux visiteurs : « Ce tableau est d’un jeune homme qui deviendra un maître incontesté : nous sommes tout nouvellement créés, et pourtant déjà notre territoire a donné le jour à un grand artiste » Le boniment variait peu ; on le sentait inspiré par une ardeur contenue, mais indéfinie, que rien ne pouvait décourager ni lasser.

Et après l’Indien c’est le Mormon dont l’influence se fait le plus sentir, non pas le Mormon riche et