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kerkyra.

étranges : on en voit de pareilles dans les photographies d’Australie ou de l’Afrique du Sud. En avant sont d’autres collines, aux lignes plus surbaissées ; les oliviers les recouvrent d’un manteau bleuté, sur lequel se détachent les flèches noires des cyprès ; les deux verdures tranchent l’une sur l’autre avec un charme d’une mélancolie intense. Les oliviers descendent ensuite, en s’espaçant de plus en plus, dans les prés de Koukouritza ; ils sautent de petits ruisseaux qui folâtrent dans les herbes, consolident gentiment avec leurs racines contournées un vieux pont de bois vermoulu qui s’abandonnait au destin, et grimpent enfin jusqu’à nous, amenant un monde de fleurettes multicolores qui se complaisent en leur compagnie et font cortège à leurs gros troncs noueux. Et quand ils sont tout près, on s’aperçoit que ces oliviers sont très, très vieux ; leur écorce est à jour et leur intérieur s’est vidé : ils ne doivent plus guère donner d’olives, mais ils étendent sur le sol de grandes masses de feuillage très imposantes, et pour un peu on céderait au désir de les faire causer et de leur demander des anecdotes sur les Vénitiens cruels, sur les Français joyeux, sur les Anglais rigides, qui tour à tour gouvernèrent Kerkyra.

Ils parsèment l’île, et dans les parties cultivées on trouve à leurs pieds des vignes et de l’avoine poussant pêle-mêle dans une promiscuité de terre promise. L’ombre de l’olivier n’empêche pas l’avoine de monter et l’avoine touffue n’étouffe pas le raisin doré ; il y a même double récolte par an Alors les habitants ont pris de l’insouciance ; ils causent,