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souvenirs d’amérique et de grèce.

cadé et bref, semblables aux marins des trirèmes antiques.

Le train s’élève lentement sur une pente sablonneuse semée de broussailles grises et traverse la fente longue de 6 kilomètres qui entaille l’isthme de Corinthe : encaissé dans les sombres parois, le canal semble un mince ruisseau, incapable de porter le moindre navire. Corinthe passe, dominé par sa haute montagne revêche et imprenable ; à droite s’étend le golfe, assombri par de grosses nuées qui traînent à sa surface, désorientées ; elles ont été poussées là par quelque tempête venue de l’Adriatique et qui, subitement, s’est calmée. Le Parnasse au front neigeux découpe dans le ciel et reflète dans les eaux un triangle éblouissant. Les vignes apparaissent ensuite, occupant tout l’espace entre le golfe et les montagnes d’Achaïe ; de blanches villas s’y encadrent ; sur le rivage, il y a de grands roseaux au feuillage léger et des cases primitives, montées sur pilotis. Au passage de la brise, les feuilles des eucalyptus ont des reflets bleus ; des pêcheurs, entrés dans l’eau jusqu’à la ceinture, traînent leurs filets : on se croirait sur quelque plage océanienne.

La nuit tombe quand nous arrivons à Patras ; la ville est dans son effervescence accoutumée ; sur la place où le train s’arrête sans façon, parmi les voitures et les passants, la foule est réunie pour son bavardage du soir. Oncques ne vit jamais un peuple aussi pérorant : les discussions sont endiablées ; elles atteignent parfois les frontières de la fureur pour s’éteindre brusquement dans une plaisanterie ; l’im-